
Le 1er mai 2021, j’ai publié sur le site de Soul Bag un hommage à John Dee Holeman, décédé la veille à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Aujourd’hui, à l’occasion du quatre-vingt-seizième anniversaire de la naissance du bluesman, je vous propose l’intégralité de mon texte publié sur le site de Soul Bag, auquel j’ajoute des images supplémentaires, quinze chansons en écoute, des extraits de concerts et des interviews.
Texte : © Daniel Léon / Soul Bag.

Article du 1er mai 2021
En mars 2020, il faisait la couverture du numéro 237 de Soul Bag qui contenait un dossier sur les vingt-cinq ans de la Music Maker Relief Foundation. Et c’est justement la fondation de Tim Duffy qui nous apprend la disparition de John Dee Holeman, le 30 avril 2021 à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Holeman est né le 4 avril 1929 Hillsborough en Caroline du Nord, dans une famille où la musique est très présente. Son enfance fut rurale : « Vers 1935, on s’est installé dans une ferme sur un terrain de cinquante hectares au nord d’Orange County. On marchait 6,5 km pour aller acheter des bonbons à Timberlake. On jouait le samedi et le dimanche, on accrochait une balançoire à un arbre, on se servait d’un pneu ou de trucs du genre. (…) Je suis allé à l’école jusqu’à neuf ans puis j’ai arrêté. L’école n’était pas obligatoire à l’époque. Je n’y suis pas allé longtemps car mon père avait besoin de moi à la ferme, et je devais faire ce qu’il demandait. Je manque d’instruction mais ça ne m’a pas empêché de gagner ensuite ma vie. » (1)

À quatorze ans, il s’achète une guitare pour quinze dollars et vient vite au blues : « Je le tiens d’un cousin qui lui-même avait appris avec un oncle. » Il apprend aussi en écoutant les disques de Blind Boy Fuller, l’émission de radio Grand Ole Opry et quelques musiciens locaux. Progressivement, il commence à se produire lors de soirées et autres house parties autour de sa ville natale. Il chante et joue de la guitare, mais excelle également en buck dance, proche d’autres versions dont la Juba dance (on dit aussi hambone), qui consiste à danser en se frappant à mains nues différentes parties du corps pour imiter des percussions. En 1954, il part vivre à Durham, environ vingt kilomètres au sud-est d’Hillsborough, où il s’accompagne du pianiste Fris Holloway.

Pour Holeman, la danse comme la musique relèvent avant tout des loisirs et il ne cherche pas à en vivre. Il travaille dans la culture du tabac, très répandue dans cette région de la Côte Est (essentiellement Virginie, Géorgie, Caroline du Nord et du Sud). Mais le gouvernement change les règles de l’agriculture. Alors que les fermiers pouvaient jusque-là récolter tout ce qu’ils voulaient, on leur impose des quotas à ne pas dépasser : « En 1954, j’ai eu deux cents dollars pour toute l’année pour ma parcelle de tabac. Je suis donc parti travailler chez Liggett and Myers Tobacco Company. On trouvait des maisons de trois pièces de type shotgun houses pour six dollars la semaine. » Holeman travaillera aussi dans le bâtiment.

Sa réputation dans le monde de la musique grandit véritablement à partir des années 1980, et il signe ses premières faces en 1982, puis d’autres en 1986 et 1991, rassemblées sur l’album « Bull City After Dark » (Silver Spring, 1991), nommé pour un W. C. Handy Blues Award. Entre-temps, en 1988, il est récompensé d’un National Heritage Fellowship du National Endowment for the Arts, et réalise avec Fris Holloway un album live (mais qui ne paraîtra qu’en 1993) chez Mapleshade, « Country Girl ». En 1992, il enregistre un disque en France à la Maison des cultures du monde pour le label INEDIT. Parallèlement, il est au programme d’importants festivals et participe à des tournées. Il s’exprime alors dans un Piedmont blues issu de l’école de Blind Boy Fuller.

La rencontre avec Tim Duffy et Music Maker survient au cours de la décennie suivante, et un premier opus voit le jour en 1999, « Bull Durham Blues », suivi de « John Dee Holeman & The Waifs Band » (2007) et « You Got To Lose You Can’t Win All The Time » (2009), ce dernier paraissant donc l’année de ses quatre-vingts ans. Depuis qu’il travaille avec Duffy, Holeman a fait évoluer sa musique, s’éloignant de son East Coast Blues originel pour se rapprocher d’un style plus dur, plus rageur, qui emprunte au Chicago Blues, au blues texan, au Hill Country Blues … Il compose d’ailleurs assez peu, se contentant souvent de reprises. Mais, comme je l’écrivais dans ma chronique de son dernier album « Last Pair Of Shoes » (2019) dans le numéro 236 de Soul Bag, « il les pèle, les dépouille et les hache menu pour les faires siennes ». Car oui, en 2019, l’incroyable monsieur Holeman a donc sorti un quatrième album pour Music, qui est sans doute son meilleur ! Ainsi, il aura tiré sa révérence sans avoir jamais donné l’impression de vieillir… John Dee Holeman s’est donc éteint le 30 avril 2021. Pour l’anecdote, il partage ses jours de naissance et de mort avec un autre bluesman assez connu : Muddy Waters est en effet né un 4 avril (1913) et décédé un 30 avril (1983)…

Voici maintenant ma sélection de documents audio et vidéo.
– Dig myself a hole en 1982.
– Crow Jane en 1983 avec Algia Mae Hinton (filmés par Alan Lomax).
– Mama got mad ’cause papa didn’t bring no coffee home en 1988 (avec Fris Holloway).
– Shotgun blues en 1992.
– Dust my broom en 2004 (avec The Waifs Band, disque sorti en 2007).
– You got to lose you can’t win all the time en 2008.
– Chapel Hill boogie en 2008 (avec Andy Coats).
– It hurts me too en 2009.
– Big boss man en 2009 (avec Tad Walters).
– Gonna hide my shoes en 2012 (avec Phil Wiggins et Willette Hinton).
– John Henry en 2014 (avec Dom Flemons).
– Hoochie coochie man (avec Lakota John).
– Did myself a hole en 2016.
– Mojo hand en 2017 (et non Louisiana blues comme mentionné sur YouTube).
– Two trains en 2019.
– « Simply John Lee Holeman », compilation d’extraits de performances de John Dee Holeman par Blues Compartido.
– Interview de 2008 par Dave Holt pour UNC-TV Folkways Series.
– Interview du 22 mars 2013 pour la NAMM (National Associations of Music Merchants).
