Ça s’est passé un 18 novembre : accord de Sony pour le rachat de CBS Records

© : Sony Music Entertainment.

Mercredi 18 novembre 1987 (1), il y a tout juste trente-huit ans, après de longs mois de négociations, par la voix de son président et directeur général Laurence A. Tisch, le conseil d’administration de CBS approuve à l’unanimité la vente de sa branche disques (CBS Records) au géant japonais Sony pour 2 milliards de dollars (2). La vente deviendra effective quelques semaines plus tard, le 5 janvier 1988. Cette transaction n’a somme toute rien d’étonnant car les échanges entre le groupe américain et son homologue japonais existaient depuis la fin des années 1960. En 1987, la marque américaine, qui s’est appelée CBS Records International en 1962 puis CBS Records Group à partir de 1971, a racheté plusieurs autres labels et fait partie des majors de l’industrie discographique. Elle propose à son catalogue un grand nombre des meilleurs artistes dans tous les domaines de la musique.

© : Gramophone.

Mais la simple commémoration de cet « anniversaire » de la vente de CBS à Sony ne suffirait pas pour justifier un article ici. Parmi les labels rattachés à CBS, il y a bien sûr Columbia, essentiel dans l’histoire du blues mais aussi du jazz, et qui nous ramène cette fois quasiment un siècle avant la vente évoquée en préambule. La Columbia Phonograph Company fut en effet créée le 15 janvier 1889 à Washington D.C. (District of Columbia, d’où son nom), ce qui en fait la plus ancienne compagnie discographique du monde toujours en activité : elle reste d’ailleurs de nos jours une marque phare du groupe Sony (3). Son fondateur, Edward Denison Easton (1856-1915), est un sténographe qui se destine à devenir avocat, mais il s’intéresse de près aux technologies naissantes d’enregistrement du son, à commencer par le Graphophone de Tainter et Bell (mon article du 4 mai 2024), puis au phonographe d’Edison.

Cylindre Columbia. © : Antique Phonograph.

En 1889, les enregistrements de musique se réalisent essentiellement sur cylindres, plus rarement sur les disques monofaces inventés par l’Américain d’origine allemande Emil Berliner pour son propre appareil qu’il a baptisé gramophone. Easton sent que ce marché va rapidement se développer, et la Columbia Phonograph Company commence à commercialiser des cylindres, mais aussi les appareils (Graphophone et phonographe), puis à partir de 1901 des disques monofaces. Il n’en faut pas plus pour faire de Columbia le premier leader du secteur ! Les premiers groupes vocaux de spirituals sortent des cylindres dès les années 1890 (mon article du 29 octobre 2025), suivis de pianistes de ragtime et de formations qui préfigurent le jazz au début du siècle dernier, pour s’en tenir aux seules musiques afro-américaines.

© : Blind Dog Radio.

Columbia, qui cesse de produire des cylindres en 1912 au profit des disques, occupe une place de choix parmi les labels discographiques au moment des premiers enregistrements de blues en 1920. En 1921, le label est le premier à lancer une série de race records (mon article du 19 janvier 2025), et les autres lui emboiteront le pas sans attendre, OKeh, Paramount, Gennett, Vocalion, Victor. Je ne peux ici établir la liste des bluesmen qui enregistrèrent dans les années 1920, lesquelles correspondent à la création des principaux courants du blues classique puis rural, mais l’exemple de Bessie Smith, la chanteuse la plus populaire de l’époque, est édifiant. De 1923 à 1933, « l’impératrice du blues » a gravé toutes ses faces pour Columbia, au nombre de 156. La dernière année, Bessie a également réalisé 4 faces pour OKeh, qui avait été acquis en 1925 par… Columbia ! En 1927, Columbia fonde CBS mais connaît aussi des difficultés financières, et suite à la Grande Dépression, la marque change plusieurs fois de mains au début des années 1930, pour finir sous le contrôle d’ARC (American Record Corporation).

Les ingénieurs des laboratoires de CBS Peter Carl Goldmark et Rene Snepvangers, qui ont participé au développement du premier 33-tours, le 1er juin 1948. © : CBS / Getty Images.

Elle retrouve toutefois un nouvel élan, d’abord en s’intéressant à de nouveaux styles comme le gospel, puis grâce au dynamisme de John Hammond, engagé comme découvreur de talents, producteur et agent, qui supervisa notamment la dernière session de Bessie Smith en 1933. Grâce à Hammond qui innova en organisant en 1938 et 1939 les fameux concerts « From Spirituals to Swing » qui rassemblent des artistes de jazz, de blues et de gospel, Columbia se diversifie avec bonheur et retrouve une place parmi les leaders. Et en 1938, c’est même Columbia Broadcasting System qui rachète cette fois ARC… Dix ans plus tard, le 21 juin 1948, Columbia se distingue en mettant au point le premier 33-tours de l’histoire, un LP de deux faces de 23 minutes chacune, œuvre de l’orchestre philarmonique de New York interprétant le concerto pour violon n° 2 de Mendelssohn.

Document de travail de Columbia en vue de la réalisation du premier 33-tours en 1948. © : Columbia Records Paperwork Collection / Library of Congress.

En 1953, Columbia crée une nouvelle filiale, Epic Records. Durant les années 1950, la marque engage de nombreux artistes réputés de jazz, de gospel, de R&B, de rock ‘n’ roll mais aussi de country. En termes de blues, Columbia frappe un grand coup en rééditant en 1961 un album comptant 16 morceaux de Robert Johnson datant de 1936 et 1937, « King of the Delta Blues Singers ». La compilation, qui donne pour la première fois accès à une partie significative de l’œuvre de Johnson et sera suivie en 1970 d’un second volume qui comprend également 16 chansons, aura un énorme succès et contribuera à la légende du mythique bluesman. Columbia est désormais une marque de CBS Records. À partir des années 1970, Columbia va conforter sa place parmi les majors de l’industrie discographique. Son catalogue récent est globalement éloigné de l’objet de ce site, mais son histoire, débutée il y a cent trente-six ans avant même l’invention du disque, méritait assurément d’être contée, même brièvement…
(1). La date du 17 novembre est également avancée, mais après vérifications et recoupements, j’ai retenu le 18 novembre.
(2). Source : article « Sony Buys CBS Record Division for $2 Billion After Months of Talks » de Paul Richter et William K. Knoedelseder Jr. dans l’édition du 19 novembre 1987 du Los Angeles Times.
(3). Selon le site de Columbia, c’est même la plus importante du groupe, avec au catalogue en 2025 AC/DC, Adele, Beyoncé, Bob Dylan, Bruce Springsteen, Céline Dion, David Gilmour, Pharrell Williams, entre autres évidemment !

© : Discogs.