
À vingt-cinq ans, Dylan Triplett fait partie des révélations récentes les plus intéressantes de la jeune génération du blues. Ce dimanche 16 novembre 2025, La Cigale accueillait un concert de Christone « Kingfish » Ingram, avec en invités Mathias Lattin, Stephen Hull et donc Triplett, qui ont tous à peu près le même âge. Né le 14 août 2000 à East Saint Louis, Illinois, Dylan Triplett s’est fait connaître en chantant dès l’âge de quinze ans dans les clubs d’East Saint Louis, puis de Saint-Louis, sur l’autre rive du Mississippi dans le Missouri, notamment grâce à Marquise Knox, un autre bluesman local qui fut lui aussi très précoce. Ensuite, il a fréquenté Kingfish dans le Mississippi et s’est formé à ses côtés avec d’autres jeunes bluesmen dont Jontavious Willis, Sean « Mack » McDonald, Stephen Hull et D.K. Harrell. En 2022, il a enregistré pour VizzTone l’excellent album « Who Is He? », qui met bien en avant sa voix soulful grainée à souhait. Dylan Triplett a bien voulu répondre aux questions de Corinne Préteur présente à La Cigale ce dimanche, et je vous propose maintenant cette interview.

INTERVIEW DE DYLAN TRIPLETT
Parlons d’abord tes origines, tes parents étaient-ils impliqués dans la musique ?
Oui, plusieurs membres de ma famille faisaient de la musique. J’ai grandi dans un environnement où il y avait beaucoup de styles différents. J’ai d’abord écouté du R&B, du jazz et du gospel, et tout cela a influencé mon parcours. En fait, à partir d’un ensemble de différents artistes, ce sont les fondations de ce que j’allais devenir.
Comment s’est passée ton enfance et quand est-tu venu à la musique ?
C’était simplement la vie d’un enfant, je me suis plutôt bien amusé quand j’étais petit. Je ne me souviens pas vraiment du moment où j’ai changé pour me concentrer sur la musique, mais globalement j’ai vécu une enfance bien équilibrée. Puis j’ai commencé à écouter de la musique dont pas mal de blues, j’écoutais beaucoup Johnnie Taylor, Bobby Bland, Al Green, Donny Hathaway, Stevie Wonder, des choses de ce genre. J’essayais en quelque sorte d’emprunter des chemins enrichissants. Ce n’était pas que du blues, mais il occupait une grande place, c’est sûr.

On t’a d’abord vu dans les clubs de ta ville, mais quand as-tu commencé à exercer professionnellement ?
J’ai réellement commencé à me focaliser sur le blues vers 2016. C’était un moment de ma vie où j’avais l’impression que les autres genres ne m’apportaient pas grand-chose ou rien de nouveau. Eh bien, comment dire, je me suis dit que je devais me tourner vers le blues car je viens aussi de là, c’est un peu chez moi [ndt : sa grand-mère est originaire du Mississippi], je peux prendre cette direction et m’épanouir. Et puis, en 2020, j’ai rencontré Kingfish dans le Mississippi, on se retrouvait au Foxfire Ranch et on jouait avec un groupe d’autres musiciens [ndt : Marquise Knox, Jontavious Willis, Sean « Mack » McDonald, Stephen Hull, D.K. Harrell, Jayy Hopp…]. C’est donc assez récent, mais j’ai débuté comme ça, on allait tous dans ce ranch dans le Mississippi. On se réunissait, on partageait de la musique. C’était de beaux moments, et j’ai réalisé que j’avais cette passion d’apprendre. Donc, je suis parti de là.
Tu te souviens des circonstances dans lesquelles tu as compris que tu choisirais le blues ?
Je crois que c’était à partir d’un CD gravé. Mon père possédait plusieurs de ces CD gravés avec des chansons d’artistes différents. Et je me souviens que j’écoutais un de ces CD intégralement, car mon père mettait toujours le même quasiment tous les week-ends, quand il était occupé à faire le ménage ou quelque chose comme ça. Au bout d’un moment, j’ai commencé à me souvenir et à retenir ce que j’écoutais. Par moments, je me disais, « oh, c’est bon, ça », et j’ai commencé à identifier le feeling. Et progressivement, c’est allé plus loin, il ne s’agissait plus de comprendre ce qu’était ce feeling mais bien de le ressentir. Et voilà !

Tu pensais alors vivre de la musique ?
Je savais que j’allais gagner ma vie avec ça, j’ai toujours voulu le faire, mais je ne m’attendais pas nécessairement à tracer mon chemin avec le blues… J’ai toujours senti l’influence du blues mais je ne pensais pas qu’il me mènerait là où je suis aujourd’hui.
Comment as-tu formé ton premier groupe ?
Dans mon premier groupe, mon père était mon saxophoniste et mon frère cadet aux claviers [rires] !
Tu t’intéresses aussi à l’histoire du blues, à la culture afro-américaine ?
Oui, j’ai la sensation d’avoir fait naître une passion profonde pour cette musique et cette culture car ce sont les miennes. J’ai dû vivre avec ça. Et dès lors, je ne cherche pas à l’éviter, au contraire, j’ai surtout envie de l’accepter et de le célébrer.
Et qu’en est-il actuellement de la scène blues à Saint-Louis, les jeunes artistes sont présents ? Quels sont les avantages de vivre dans cette ville ?
Il y a encore des gens qui font du blues à Saint-Louis. Nous essayons de convaincre la jeune génération d’aller dans cette direction. C’est un défi mais nous commençons à récolter les fruits de nos efforts, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. J’aime bien cette ville car on peut profiter de toutes les saisons, il y a un bon équilibre et sa situation est centrale, ce qui me permet d’aller partout facilement.
Parlons de ton album, « Who Is He? », pourquoi ce titre, quelle est la signification ?
En fait, c’est une façon de me présenter, dire qui je suis. Quand je me produisais, j’entendais souvent des gens dire « qui est-ce, de quoi s’agit-il ? ». J’aime bien Bill Withers [ndt : Who is he (and what is he to you)? est une chanson enregistrée en 1972 par ce chanteur de musique soul], et je me suis dit que je pourrais la reprendre en y apportant ma touche personnelle. J’ai décidé de la mettre sur l’album et le titre collait bien à ce que je faisais. Et j’ai trouvé ça génial. On a enregistré le disque en 2018 et 2019 mais il est seulement sorti en 2022.

Et tu comptes en réaliser un autre ? Il serait question que tu collabores avec Kingfish…
Oui, nous sommes prêts à faire des choses ensemble. Je vais bientôt sortir un nouveau single et un album devrait sortir l’an prochain, c’est l’objectif.
Ta voix est mise en avant, mais comment tu procèdes, tu t’entraînes, tu pratiques beaucoup ?
Je chante tous les jours, même quand je n’ai pas de concert. Je chante toute la journée, parfois juste un petit peu, mais je m’entraîne. Je m’assure que ma voix reste affutée, qu’elle est toujours bien en place. Je sens que je suis un chanteur, j’ai l’impression que je peux avoir une influence car on ne trouve pas beaucoup de chanteurs de blues dans ce genre en ce moment. Et personnellement, si je peux me démarquer en montrant ce que je peux faire, les gens voudront peut-être me suivre et voir où je vais, car honnêtement, j’ai bon cœur. Je pense que je aussi peux dire ça car je suis un passionné, et j’aimerais apprendre à la génération suivante comment procéder, ce n’est pas difficile, il suffit d’y mettre tout son cœur.

Comment définirais-tu ton style ?
Je vois ça comme une prise alternée d’un classique. Je prends une musique qui a donc déjà un feeling et une saveur, à laquelle j’ajoute des ingrédients à mon goût. Ensuite, j’essaie d’aller aussi loin que possible mais sans manquer de respect à l’égard des artistes et des auteurs, je fais les choses à ma façon en créant une nouvelle voie.
Crois-tu que ce genre de musique encouragera les plus jeunes à faire du blues ?
Je joue avec l’espoir qu’il y ait plus de gens de mon âge qui apprécieront cette musique. Je le souhaite car je sens que bien des gens pensent que le blues est un style ancien, qu’il date peut-être du XIXe siècle. Ce n’est pas le cas mais beaucoup de personnes croient cela. Mais je sens aussi qu’un renouveau est en train de se produire, et il est si fort que même les jeunes ne pourront pas l’ignorer.
Recueilli le 16 novembre 2025 à La Cigale par Corinne Préteur.
Traduction, adaptation : Daniel Léon.

