
Comme l’année dernière, outre les disques, je vous propose une liste de mes cinq livres favoris, mais il ne s’agit pas d’un classement dans l’immédiat. En revanche, début 2026, je publierai cette fois un véritable Top 5 de ces livres de cette année 2025. Mon troisième livre est Fiddling Is My Joy: The Fiddle in African American Culture par Jacqueline Cogdell DjeDje (University Press of Mississippi, 556 pages, 40 dollars), paru le 18 juin 2025. Au XVIIe siècle aux États-Unis, il était interdit aux Noirs déportés d’Afrique de jouer des percussions, car les propriétaires blancs craignaient que les esclaves s’en servent pour communiquer et fomenter des révoltes. Deux instruments étaient toutefois tolérés : le banjo, qui a bien sûr ses origines en Afrique de l’Ouest car fabriqué à partir d’une demi-calebasse, et surtout le violon. On faisait ainsi souvent appel aux « violoneux », notamment pour distraire les familles blanches et leurs amis sur les plantations.

Le terme violon, utilisé pour désigner l’instrument conçu en Italie au début du XVIe siècle, se rattache d’abord à la musique classique. Dans notre cadre, le mot fiddle est toutefois plus adapté car il se rapporte aux traditions musicales folkloriques, on pense d’abord à l’Irlande et l’Écosse, mais aussi à l’Europe centrale avec les Balkans. Il se répandra ensuite dans le folk, la country, le bluegrass, la musique cadienne et même le jazz et le blues… Ses origines sont très anciennes et remontent au Moyen Âge, sans doute au Xe siècle, quand on en jouait aux côtés de la lyre byzantine dont il est dérivé. En tout état de cause, les colons européens ont bien amené le fiddle au XVIIe siècle aux États-Unis, mais selon l’autrice du livre qui nous intéresse, il était également présent en Afrique de l’Ouest aux XIe et XIIe siècles. En Sénégambie, on trouve ainsi trace du nyanyeru ou goje (d’autres appellations existent), une version très archaïque de fiddle à une seule corde, mais dont on joue encore aujourd’hui. Impossible de ne pas penser au diddley bow…

Professeure émérite de musique africaine et afro-américaine à l’Université de Californie à Los Angeles, Jacqueline Cogdell DjeDje est l’ancienne présidente du département d’ethnomusicologie et directrice des archives d’ethnomusicologie, toujours à l’UCLA. On lui doit de nombreux articles dans la presse et d’autres livres dont Fiddling in West Africa: Touching the Spirit in Fulbe, Hausa, and Dagbamba Cultures (Indiana University Press, 2008). Son livre est dès lors extrêmement bien documenté, basée sur des recherches très poussées et sur des études menées sur le terrain, y compris en Afrique. Il se décline en deux grandes parties qui elles-mêmes comptent plusieurs chapitres, tout en s’arrêtant sur différents personnages dont des musiciens. Ceux qui opéraient avant le XXe siècle sont pour la plupart totalement inconnus, mais ce sont des précurseurs et des pionniers des musiques populaires que nous écoutons. En voici le détail.

Première partie : Pre-Twentieth Century
– Chapitre 1 : « The Earliest Evidence: Black Fiddling During the 1600s and 1700s ». Concerne essentiellement l’est et le nord-est des futurs États-Unis. Personnages évoqués : Polydor Gardiner, Robert Prim, John Marrant, Simeon « Sy » Gilliat, Devereux Jarratt…
– Chapitre 2 : A General Overview: Black Fiddling During the 1800s. S’arrête sur l’expansion progressive du fiddle vers le sud et l’ouest.
– Chapitre 3 : “A Regional Perspective: Black Fiddling During the 1800s ». Longue étude détaillée par régions : nord-est, sud-est, régions montagneuses dont Appalaches et Ozarks, centre-sud. Personnages évoqués : The Snowden Family Band (un des premiers groupes afro-américains d’old-time music, actif des années 1850 à 1890), James Thomas, Ben Guyton, George Morris, Augustus « Gus » Cochran (grand-père du luthier Earnest Mostella), Solomon Northup (objet du film 12 Years a Slave en 2013), Gus Rhodes, The Owens Family, Charles Lipscomb (le père de Mance !). On le constate, plusieurs de ces noms nous sont désormais plus familiers…

Deuxième partie : Early Twentieth Century: The Decline in Prominence of Black Fiddling
Cette section de huit chapitres, tout en reconnaissant le déclin progressif de l’importance du fiddle, revient dans le détail sur ces traditions en se concentrant sur les régions, ce qui englobe nombre d’États : Maryland, Virginies, Kentucky, Tennessee, Carolines, Géorgie, Alabama, Mississippi, Missouri, Floride, Arkansas, Louisiane et Texas. Parmi les personnages évoqués, pour s’en tenir au spectre de ce site, citons Carl Martin, Posey Foddrell, Stephen Tarter, Joseph « Joe » Thompson, Andrew & Jim Baxter, Earnest Mostella, Sidney « Sid » Hemphill, Robert « Bob » Pratcher, Thomas Jefferson Dumas, les frères Chatmon, Henry « Son » Sims, Blind Pete, James « Butch » Cage, Morris Chenier, Douglas Bellard, Joseph « Bébé » Carrière, Calvin Carrière, Canray Fontenot, Teodar Jackson et Howard « Louie Bluie » Armstrong.
Un ouvrage absolument remarquable, passionnant et précieux : en effet, on apprend beaucoup, et surtout on comprend mieux comment la genèse des musiques populaires afro-américaines s’est effectuée. Il est également illustré de documents que l’on voit peu et je vous propose seize images dans cet article, toutes tirées du livre.











