Coot Grant, morte un 26 décembre

© : Document Records.

Née à la fin du XIXe siècle et donc contemporaine des grandes chanteuses de blues classique des années 1920, Coot Grant s’en distingua pourtant à plusieurs titres. Elle fut d’abord une pionnière malgré elle des tournées européennes alors qu’elle était encore enfant. Ensuite, elle fit essentiellement carrière avec son mari, le chanteur-pianiste-organiste Wesley « Kid » Wilson, bien sûr comme chanteuse mais également danseuse et guitariste, ce qui valut au duo une grande popularité auprès des Afro-Américains durant trois décennies (années 1910-1930). En termes de compositions, le couple n’a probablement pas d’égal sur la période, on lui prête en effet l’écriture des textes de plus de quatre cents chansons ! Grant s’essayera également au Country Blues : en 1926, elle s’accompagne d’un certain Blind Blake dont ce sont les premières apparitions sur disque… Enfin, Grant et Wilson travailleront aussi avec des jazzmen dont Mezz Mezzrow et Sidney Bechet.

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Coot Grant naît Leola B. Henton ou Leola B. Pettigrew le 11 ou le 17 juin 1893 à Birmingham, alors la plus grande ville de l’Alabama (aujourd’hui la deuxième). Elle sait à peine marcher quand son père lui apprend à danser, apparaît en 1898 sur les scènes locales et dans les grandes salles de vaudeville deux ans plus tard. Le prénom Coot, qu’elle adoptera durant sa carrière professionnelle, provient de son surnom Cutie quand elle était petite. En 1901, à huit ans, elle est engagée dans la troupe Mayme Remington’s Pickaninnies, avec laquelle elle part en Afrique du Sud et en Europe. Hélas, ces tournées tristement célèbres, sur lesquelles je m’arrêtais dans un article du 21 mai 2023, ont un caractère raciste affirmé. Les meneuses de ces revues, des Blanches grimées en blackface, exhibent comme des bêtes de cirque ces enfants que l’on appelle pickaninnies, autrement dit « négrillon(ne)s », et souvent même coons, un terme encore plus péjoratif et injurieux pour désigner les Noirs.

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Malgré cela, la jeune fille continue de tourner avec Remington durant toutes les années 1910. En grandissant, elle se produit sous le nom de Patsy Hunter, le premier de ses nombreux pseudonymes (les autres dériveront de ses noms de naissance et de femme mariée), et épouse en 1913 le chanteur Isaiah I. Grant, qui décède en 1920. La même année, elle se remarie avec Wesley « Kid » Wilson, qui lui aussi se fera connaître sous différents pseudonymes dont Catjuice Charlie, Kid Wilson, Jenkins, Socks et Sox Wilson… Probablement en mars 1925, Leola B. « Coot » Grant et « Kid » Wesley Wilson (les crédits diffèrent sur les deux faces !) gravent un premier single pour Paramount, Crying Won’t Make Him Stay/Rock, Aunt Dinah, Rock. En octobre de la même année, le couple enregistre aussi quatre faces au sein de la formation du pianiste et chef d’orchestre Fletcher Henderson, qui comprend alors Louis Armstrong, et deux autres dans une version plus réduite. Vers mai-juin 1926, Grant et Wilson signent deux autres morceaux, toujours dans le style du Classic Blues très marqué par le jazz.

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Mais vers juillet 1926 (en l’état actuel de nos connaissances, il est impossible d’être plus précis sur les différentes sessions citées), Coot Grant surprend et chante dans un registre inattendu pour elle, en gravant un single avec Blind Blake à la guitare, Dying Blues/Ashley St. Blues. Il s’agit tout simplement des premiers enregistrements de Blake, considéré comme le père fondateur du blues de la Côte Est (Piedmont Blues)… Durant les années qui suivent, ensemble ou séparément, Grant et Wilson multiplient les réalisations sous les noms les plus divers (Kid and Coot, Grant and Wilson, Coot Grant and Socks Wilson, Pigmeat Pete and Catjuice Charlie, Leola B. Pettygrew, entre autres variantes !), ce qui fait de leur discographie un véritable casse-tête. Le couple poursuit ses enregistrements jusqu’en 1933, date à laquelle il est au casting du film Emperor Jones de Dudley Murphy (avec Paul Robeson) et ne cesse de se produire, ce qui lui vaut une immense popularité. Ils sont même les auteurs des paroles des quatre dernières chansons enregistrées par Bessie Smith le 24 novembre 1933.

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Au milieu des années 1930, Grant et Wilson subissent les effets conjoints de la crise économique et de la désaffection du public à l’égard de leur musique, même s’ils parviennent à graver quelques faces en 1938. Après la naissance de leur fils unique Bobby en 1941, ils trouvent de nouveaux engagements en tant que compositeurs pour le clarinettiste et saxophoniste de jazz Mezz Mezzrow. Cinq ans plus tard, en 1946, ils réalisent leurs dernières faces dans une formation menée par Mezzrow et Sidney Bechet. Ils sont également présents sur l’album de Mezzrow et Bechet « The Really The Blues Concert: January 1, 1947 », et comme le rappelle Eugene Chadbourne sur AllMusic, ils jouèrent aussi un rôle important dans l’émergence d’artistes en herbe : Louis Jordan doit ainsi grandement sa première session d’enregistrement au soutien de Kid Wilson. Si ce dernier connaît ensuite des problèmes de santé qui l’obligent à se retirer en 1949, sa femme continue de se produire, mais selon Floyd Levin dans Classic Jazz: A Personal View of the Music and the Musicians (University of California, Press 2000), ils vivent ensuite dans le plus grand dénuement. Après la mort de son mari en 1958, on perd la trace de Coot Grant. Grâce aux recherches de Bob Eagle et Eric LeBlanc (Blues: A Regional Experience, Praeger, 2013), on sait qu’elle nous a quittés le 26 décembre 1970, à l’âge de soixante-dix-sept ans.

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Voici maintenant huit chansons en écoute.
Crying Won’t Make Him Stay en 1925 par Leola B. « Coot » Grant et « Kid » Wesley Wilson
Come on Coot, Do that Thing en 1925 par Coot Grant et Kid Wesley Wilson avec Fletcher Henderson.
Dying Blues en 1926 par Leola B. Wilson avec Blind Blake à la guitare.
Key Hole Blues en 1928 par Kid and Coot.
Boop-Poop-A-Doop en 1931 par Leola B. Pettigrew.
Meat Cuttin’ Blues en 1932 par Coots Grant & Socks Wilson.
Take Me for a Buggy Ride par Coots Grant en 1933.
I Am a Woman en 1938 par Grant and Wilson, avec Sidney Bechet à la clarinette.

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