
Le 8 décembre 2007, Lurrie Bell est à l’affiche de la trente-septième édition de la Bagneux Blues Night (92). Je le rejoins après sa prestation et je lui demande comment il fait pour générer autant d’émotion avec son seul pouce qui s’agite sur les cordes de sa guitare, caractéristique de son jeu tranchant et hyper expressif. Lurrie éclate alors de rire : « That’s my conversation with the blues ! » Inutile de traduire. Lurrie utilise effectivement sa guitare pour un échange intime avec le blues, et il parvient à partager avec son public l’exaltation véhiculée par sa musique, bien aidé par une voix souvent possédée, car on a un peu tendance à oublier qu’il est aussi un magnifique chanteur. Si on ajoute des disques marquants, cela fait assurément de Lurrie Bell un des bluesmen majeurs de notre époque, toutefois pas épargné par des problèmes personnels qui eurent des répercussions sur sa carrière.

Lurrie C. Bell naît le 13 décembre 1958 à Chicago. Son père est le célèbre chanteur-harmoniciste Carey Bell (1936-2007), qui aura d’autres enfants impliqués dans la musique, Steve également harmoniciste, Carey Jr. et Tyson tous deux bassistes, enfin James qui est batteur. Eddy Clearwater est aussi un cousin de Carey Bell. Dans un tel environnement familial, Lurrie Bell débute à la guitare à l’âge de six ans, et il se retrouve vite au contact des principaux bluesmen de la Windy City. Eddie Taylor, Eddie C. Campbell, Jimmy Dawkins, Eddy Clearwater, Big Walter Horton, Sunnyland Slim et Lovie Lee (beau-père de Carey Bell) sont ainsi des visiteurs réguliers de la famille. À huit ans, il vit chez ses grands-parents dans le Mississippi et l’Alabama, où il découvre le gospel. De retour à Chicago, le blues reprend le dessus, et il commence à se produire dans le South Side à seulement quatorze ans, notamment grâce à Lovie Lee, et forme un premier groupe à quinze ans, quand il est encore lycéen.

Le 15 mars 1977, il apparaît pour la première fois sur disque, à la guitare sur l’album de son père « Heartaches and Pain », qui sortira en fait en 1994 chez Delmark. Trois mois plus tard, en juin 1977, il joue de la basse sur deux chansons de l’album « King of the Jungle » (Mr. Blues) d’Eddie C. Campbell. Au même moment, il fonde avec le chanteur-harmoniciste Billy Branch et le bassiste Freddie Dixon (le fils de Willie) The Sons of Blues. Le 6 novembre 1977, The Sons of Blues donnent un concert à Berlin en Allemagne, qui sera édité en 1977 par Gérard Herzhaft sous le titre « New Generation of the Blues – Live! Berlin 6 November 1977 ». L’année suivante, trois morceaux du groupe figurent sur le volume 3 de la série « Living Chicago Blues » d’Alligator. En 1982, Lurrie Bell se fait remarquer avec Billy Branch sur l’excellent « Chicago’s Young Blues Generation » (L+R). Parallèlement, il accompagne Koko Taylor durant quatre ans, tout en partageant aussi des albums avec son père.

Quand il sort en 1989 son premier album sous son nom chez JSP, « Everybody Wants to Win », nul ne doute que Lurrie Bell va mener une carrière digne des plus grands. Mais le bluesman connaît des problèmes avec la drogue, et sa fragilité mentale (schizophrénie) est à l’origine d’absences qui entravent son parcours, et il se retrouve même un temps sans domicile fixe. L’enregistrement en janvier 1991 avec son père du bel album acoustique « Second Nature » (sorti en 2004 chez Alligator), et surtout du formidable « Mercurial Son » en 1995 chez Delmark, démontrent pourtant un talent intact. D’autres disques suivent, souvent chez Delmark. Mais deux tragédies surviennent en 2007. Il perd son père, foudroyé par une crise cardiaque à soixante-dix ans, ainsi que sa compagne Susan Goldberg.

Il surmonte ces épreuves et crée même son propre label Aria B.G. (d’après le nom de sa fille, Aria Bell-Goldberg), sur lequel il enregistre un album très réussi, « Let’s Talk About Love », suivi en 2011 du génial « The Devil Ain’t Got no Music », un autre disque acoustique qui mêle blues et gospel. Grâce notamment aux frères Matthew et Larry Skoller, Lurrie retrouve progressivement la confiance et réapparaît plus régulièrement sur les scènes internationales. Après avoir brillamment participé au deuxième volet du projet « Chicago Blues: A Living History » de Larry Skoller (Raisin’ Music ), Lurrie signe trois nouveaux albums de haut niveau chez Delmark : « Blues in My soul » (2013), « Can’t Shake this Feeling » (2016) et « Tribute to Carey Bell » (2017), ce dernier enregistré avec ses frères Steve, Tyler et James, ainsi que Charlie Musselwhite et Billy Branch. Enfin, l’an dernier, il a réalisé avec le saxophoniste de jazz Frank Catalano « Set Me Free », plébiscité par la critique et qui prouve que Lurrie Bell a encore de très belles choses à dire…

Voici maintenant dix chansons en écoute.
– I’m Ready en 1977 avec The Sons of Blues.
– Have You ever Loved a Woman en 1978 avec The Sons of Blues.
– Breakin’ Up Somebody’s Home en 1982 avec Billy Branch.
– Cadillac Assembly Line en 1989.
– Got to Leave Chi-Town en 1991 avec Carey Bell.
– Blues in the Year One-D-One en 1995.
– Earthquake And Hurricane en 2007.
– I’ll Get to Heaven on My Own en 2011.
– Blues in My Soul en 2013.
– The Sky Is Crying en 2024 avec Frank Catalano.

