
Le blues n’est certes pas la musique de l’esclavage, mais celles et ceux qui l’ont créé en sont les descendants directs. Et les traditions folkloriques nord-américaines les plus anciennes (work songs, boat songs, ring shouts, field hollers, slave songs, prison songs, minstrel shows, medicine shows, tent shows, string bands, spirituals), à partir desquelles le blues s’est façonné, sont toutes apparues du XVIIe au XIXe siècle, à l’époque de l’esclavage. À partir de l’arrivée en 1619 du premier bateau transportant des Africains vers les futurs États-Unis (sur un site de l’actuel Virginie) pour en faire des esclaves, la déportation devient systématique et s’accentue très fortement au XVIIIe siècle. Car si les arrivants réduisent aussi en esclavage les natifs (Amérindiens), ces derniers finissent par manquer pour assouvir l’appétit expansionniste des colons.

En 1770, parmi les treize colonies britanniques de la Côte Est qui donneront ensuite naissance aux États-Unis, dans celles le plus au sud (Caroline du Sud et Géorgie), le pourcentage d’esclaves dépasse 60 %. Dans les années qui suivent l’Indépendance en 1776, les États au nord (Maine, Vermont, Massachusetts, New York, Pennsylvanie, Pennsylvanie, New Hampshire, Connecticut, Rhode Island et New Jersey) commencent à abolir progressivement l’esclavage. Au début du XIXe siècle, après l’arrêt de la traite en 1808, aux côtés d’affranchis et de sociétés abolitionnistes qui essaient tant bien que mal de s’organiser, les révoltes d’esclaves sont de plus en plus nombreuses dans le sud bien que toujours réprimées dans le sang. Ensuite, le développement de l’Underground Railroad, ce réseau clandestin qui permet aux esclaves de fuir vers les États du Nord où l’esclavage n’a pas cours (et même jusqu’au Canada), va permettre à la politique de prendre plus de place sur la question de l’esclavage.

L’élection de l’abolitionniste Abraham Lincoln le 6 novembre 1860 achève d’exacerber les tensions entre nordistes et sudistes, ce qui débouche sur la guerre de Sécession l’année suivante. Le conflit n’empêche pas Lincoln de continuer d’agir en faveur de l’abolition, et le 1er janvier 1863, il promulgue la Proclamation d’émancipation. Elle déclare libre toute personne jusque-là esclave qui réside dans la Confédération, autrement dit les États sudistes : Caroline du Sud, Mississippi, Floride, Alabama, Géorgie, Louisiane, Texas, Virginie, Arkansas, Tennessee et Caroline du Nord. Si des Afro-Américains prennent part à la guerre, la nouvelle de l’émancipation prend du temps pour se propager dans les zones rurales. Le 13e amendement de la Constitution, qui abolit l’esclavage, est adopté par le Sénat le 8 avril 1864 puis par le Congrès le 31 janvier 1865. Cinq jours après la reddition du général Lee, Lincoln est mortellement blessé par balle le 14 avril 1865 par John Wilkes Booth, un sympathisant confédéré, et meurt le lendemain. Enfin, le 6 décembre 1865, il y a tout juste 160 ans, le 13e amendement est ratifié et l’esclavage aboli.

Les premières mentions écrites du mot « blues » sont contemporaines de la guerre de Sécession, voire légèrement antérieures (mon article du 14 décembre 2024), mais elles ne se rapportent pas au style musical que nous connaissons. On estime généralement que les origines du blues proprement dit, dans sa forme la plus archaïque, remontent plutôt aux années 1880, ce qui correspond aussi à l’instauration de la ségrégation. Le blues est une musique étroitement liée à cette ségrégation, mais conçue par les Afro-Américains, elle est enracinée dans les traditions issues de l’esclavage. Bien entendu, il n’existe pas d’enregistrements de l’époque de l’esclavage. Voici toutefois dix chansons en écoute ancrées dans ces traditions ancestrales (avec une surprise !).
– Po Lazarus par James Carter & the Prisoners.
– I Be So Glad… When The Sun Goes Down par Ed Lewis.
– Berta, Berta par Thomas Hollis, Roscoe Carroll, Carl Gordon, Charles Dutton et Dwight Andrews.
– Steal Away par Reverend Pearly Brown.
– Oh Freedom! par The Golden Gospel Singers.
– The Lonesome Valley par Carol Brice, chanteuse lyrique !
– Long John par Lightning Washington.
– Roll Jordan Roll par Topsy Chapman.
– Sink ‘Em Low par Bessie Jones & the Georgia Sea Island Singers.
– Plantation Dance Ring Shout par les Georgia Geechee Gullah Ring Shouters.

