
Rarement label de blues aura aussi bien porté son nom… De 1967 à 1970, puis en 1973-1974, soit une période somme toute assez courte, BluesWay, filiale d’ABC-Paramount, a sorti des dizaines de singles et d’albums de grands bluesmen d’alors. B.B. King fut le premier à sortir un album complet pour la marque, mais les noms des autres artistes au catalogue donnent le vertige : John Lee Hooker, Otis Spann, Jimmy Reed, Jimmy Rushing, Big Joe Turner, Eddie « Cleanhead » Vinson, T-Bone Walker, Roy Brown, Jimmy Witherspoon, Brownie McGhee & Sonny Terry, George « Harmonica » Smith, Earl Hooker, Johnny « Big Moose » Walker, Charles Brown, Ray Charles, Andrew « Big Voice » Odom, Mel Brown, Bobby Bland, Junior Parker, Sunnyland Slim, John Littlejohn, Lucille Spann, Homesick James, Gatemouth Moore, Johnny Young, Snooky Pryor, Roosevelt Sykes, Cousin Joe, Carey Bell, Big Joe Williams, L.C. « Good Rockin’ » Robinson ont ainsi enregistré des albums chez BluesWay. Sans compter des compilations et quelques artistes/groupes moins connus… J’ai tenu à dresser cette liste pour bien mesurer la densité du catalogue BluesWay, sans égale à l’époque.

En 1966, la reconnaissance du blues s’élargit depuis quelques années. Grâce au Blues Revival, les bluesmen apparaissent dans les plus grands festivals jusque-là réservés au jazz et au folk. En Europe, conséquence des premières tournées de l’American Folk Blues Festival qui permettent aux bluesmen américains de se faire connaître hors États-Unis, le British Blues Boom bat son plein. ABC-Paramount fait alors partie de ce que nous appelons les majors. Fondée en 1955 sous le nom d’Am-Par Records, la marque distribue des labels, en acquiert et en crée d’autres dont Impulse! en 1960, axé sur le jazz et dirigé à partir de 1961 par Bob Thiele, musicien et producteur réputé qui a déjà travaillé avec les meilleurs jazzmen. En décembre 1966, ABC décide de lancer un label spécifiquement dédié au blues, BluesWay Records. Thiele en a la charge avec une équipe de producteurs qui comprendra notamment Al Smith, également contrebassiste, chef d’orchestre et manager de Jimmy Reed.

Le staff de BluesWay entreprend d’enregistrer ce qui se fait de mieux dans le domaine du blues, ce dont témoignent ses premiers singles en 1967 qui portent sur Jimmy Rushing, Roy Brown, Jimmy Reed, B.B. King… Les 24 et 25 mai 1967, T-Bone Walker enregistre un EP 6-titres, « Stormy Monday Blues », avec entre autres Mel Brown. Il est suivi d’un double LP de référence 6000, « The Best Of… », en fait une compilation avec B.B., Rushing, Reed, T-Bone, Otis Spann, John Lee Hooker et Joe Turner. À ces bluesmen connus s’ajoutent deux formations de musiciens blancs, le Dirty Blues Band (qui voit débuter le chanteur-harmoniciste Rod Piazza) et l’Outlaw Blues Band, ainsi que le South Central Avenue Municipal Blues Band, qui comprend dans ses rangs deux membres des Jazz Crusaders, Joe Sample et Wayne Henderson.

Toujours en 1967, le premier album complet par un artiste sous son nom est donc l’œuvre de B.B. King en personne. Il porte la référence 6001, s’intitule « Blues Is King », est sous-titré « Don’t Answer the Door », et il a été enregistré en public à l’International Club à Chicago le 5 novembre 1966. Moins célèbre que « Live at the Regal » réalisé deux ans plus tôt presque jour pour jour (le 21 novembre 1964), il est quasiment du même très haut niveau. Jusque-là, B.B. enregistrait pour ABC, mais « basculer » ses disques sur BluesWay est un bon moyen de favoriser le développement du nouveau label. Au total, B.B. King signe six albums chez BluesWay, dont « Completely Well » (24 et 25 juin 1969), sur lequel figure pour la première fois sa reprise de la chanson de Roy Hawkins et Rick Darnell, The thrill is gone, dont il fera un classique du blues et qui ne quittera jamais son répertoire.

Les deux références suivantes du catalogue Bluesway concernent deux autres « monstres sacrés ». Tout d’abord John Lee Hooker avec « Live At Cafe Au-Go-Go » pour Bluesway, sur lequel il s’accompagne du groupe de Muddy Waters comprenant Luther « Georgia Boy » Johnson et Sammy Lawhorn aux guitares, Otis Spann au piano, Mac Arnold à la basse et Francis Clay à la batterie. On retrouve Otis Spann peu après avec « The Blues Is Where It’s At », disque absolument remarquable avec le même groupe que précédemment, complété de George « Harmonica » Smith à l’harmonica. Il importe de rappeler que ces deux albums, respectivement enregistrés les 20 et 30 août 1966, ne sont pas des « vrais » live. En effet, si le Cafe Au Go Go, situé au 152 Bleecker Street à Greenwich Village, New York, était bien un club (en activité de 1964 à 1970), il faisait aussi office de studio. Les deux disques ont été enregistrés dans des conditions intermédiaires, en présence de nombreuses personnes de l’entourage des artistes, ce qui donne la sensation de véritables enregistrements en public. Mais cela n’enlève rien à la qualité de ces réalisations…

À partir de là, BluesWay va poursuivre à un rythme très soutenu les enregistrements des bluesmen cités dans ma liste en préambule. Tous n’atteignent certes pas le même niveau que ceux évoqués ci-dessus, et il m’est de toute façon impossible de m’arrêter sur chacun d’entre eux (environ quatre-vingts albums). En plus des précédents, je vous propose donc une sélection, qui n’engage que moi, de mes albums préférés du label, avec les dates de sortie.
– Jimmy Reed, « The New Jimmy Reed Album », 1967.
– Jimmy Rushing, « Every Day I Have the Blues », 1967, « Livin’ the Blues », 1968.
– Eddie « Cleanhead » Vinson, « Cherry Red », 1967.
– T-Bone Walker, « Stormy Monday Blues », 1967, « Funky Town », 1968.
– B.B. King, « Blues on Top of Blues », 1968, « Lucille », 1968, « Live & Well », 1969.
– John Lee Hooker, « Urban Blues », 1968.
– Otis Spann, « The Bottom of the Blues », 1968.
– Earl Hooker, « Don’t Have to Worry », 1969.
– Johnny « Big Moose » Walker, « Rambling Woman », 1969.

BluesWay cesse de sortir des albums en 1970, mais après une parenthèse de trois ans, la marque revient et publie une nouvelle série de disques (dont quelques compilations) en 1973 et 1974. Globalement, la production de ce label recèle peu de déchet, et BluesWay a maintenu le blues à flot à un moment où il commençait à péricliter au tournant des années 1960 et 1970. Les matrices du label seront vendues en 1978 à MCA Records. Voici maintenant les albums de la seconde période BluesWay qui me semblent les plus réussis.
– Bobby Bland, « Call on Me », 1973.
– Sunnyland Slim, « Sunny Land Slim Plays the Rag Time Blues », 1973.
– John Littlejohn, « Johnny Little John: Funky From Chicago », 1973.
– Cousin Joe, « Of New Orleans », 1973.
– Carey Bell, « Last Night », 1973.
– Lucille Spann « Cry Before I Go », 1974.
– Big Joe Williams, « Don’t Your Plums Look Mellow Hanging on Your Tree, 1974.
Enfin, je conclus cet article avec deux liens vers deux émissions de Big Road Blues Radio qui retracent l’histoire de BluesWay, soit quatre heures de musique !
– Big Road Blues Show 9/12/10: A Taste Of BluesWay – The BluesWay Label Pt. 1
– Big Road Blues Show 5/10/15: A Taste Of BluesWay – The BluesWay Label Pt. 2

