Boston Blackie, né un 6 novembre

© : Blues Compartido.

On se souvient généralement de Boston Blackie pour sa mort violente suite à un différend avec un autre bluesman connu, James Yanc(e)y Jones aka Tail Dragger. Mais ce chanteur-guitariste talentueux, qui n’a malheureusement pas eu le temps de beaucoup enregistrer, mérite que l’on s’arrête sur son parcours. Il naît Benjamin Joe « Bennie » Houston à Panola, un hameau à l’ouest de l’Alabama tout près de la frontière avec le Mississippi. Neuvième d’une fratrie de onze enfants, il grandit dans la ferme construite par son père Will Houston, qui est donc fermier, mais aussi coiffeur, menuisier et maçon (1). À quatre ans, il récupère la guitare d’un frère bien plus âgé qui part à l’armée, Earle, et apprend à jouer, d’abord seul en écoutant la radio, que ce soit du blues (B.B. King, Muddy Waters, Howlin’ Wolf) comme de la country (Gene Autry, Roy Rogers). Il est ensuite encouragé par un de ses professeurs et peut ainsi jouer devant toute sa classe. Parallèlement, il chante dans le chœur à l’église, mais aussi avec ses frères et sœurs que leur mère accompagne à l’accordéon, et commence à se produire localement lors de picnics.

Au club Eddie’s Place, Chicago, janvier 1977. © : Magnus Calais / Stefan Wirz.

Après avoir décroché son diplôme de fin de lycée (l’équivalent de notre baccalauréat), il part pour Chicago en 1962 et rejoint le groupe de trois de ses frères (Elijah, Milton et Nathaniel), Sweetman and the Sugar Boys. À dix-neuf ans, Houston est sans doute déjà un chanteur-guitariste accompli. Mais quand Nathaniel meurt dans un accident de la route, les frères décident de se séparer. Benjamin Joe Houston, alors connu sous le nom de Dog Man, trouve facilement des engagements dans les clubs de la Windy City, à une époque où le West Side Sound est à son apogée. Il apparaît toutefois d’abord aux côtés de Johnny B. Moore, Lee Shot Williams et Little Milton, dont la musique est plus ancrée dans la tradition sudiste. Mais ce sont bien des artistes typés « West Side » qui vont ensuite grandement l’influencer, à commencer par Magic Sam, Freddie King, Otis Rush et Jimmy Dawkins. Mais quand on lui demandait de définir sa musique, il répondait qu’elle empruntait à la fois à Little Milton, Elmore James et Bobby « Blue » Bland…

Boston Blackie, B.B. Jones aka Alvin Nichols, Pete Peterson et West Side Wes, Buddy’s Sunset Lounge, Chicago, 1987. © : Hans Ekestang / Stefan Wirz.

Il choisit aussi de se faire appeler Boston Blackie, du nom d’un personnage fictif de nouvelles populaires (2). Le bluesman jouait également avec le mot blackie (« noiraud », qui peut aussi avoir une connotation raciste) pour se bâtir une petite légende : comme il avait la peau très foncée, il se présentait sur scène et offrait 5 dollars à toute personne du public ayant la peau plus noire que lui, un « jeu » auquel il n’aurait jamais perdu… Il avait également la réputation de toujours tout mettre en œuvre pour que les gens soient heureux et s’entendent bien, n’hésitant pas à s’interposer lors de querelles pour convaincre les personnes impliquées que cela n’en valait pas la peine. Malgré une activité incessante dans les clubs du West Side et les festivals, mais aussi son talent (belle voix soulful chargée d’émotion, jeu de guitare intense), il ne trouve manifestement pas le temps d’enregistrer.

Tail Dragger, Boston Blackie, B.B. Jones et West Side Wes, Buddy’s Sunset Lounge, Chicago, 1987. © : Hans Ekestang / Stefan Wirz.

Il lui faut ainsi attendre trente ans après son arrivée à Chicago pour signer ses premières faces. Mais il est désormais très connu, et le 29 janvier 1992, il est enregistré par Paul Smith (Acme Recordings Studios à Chicago) et réalise six chansons : ABC blues take 1 & 2, Louise, Hey baby, How much more long et Find me another baby. Elles figurent sur l’album « Boston Blackie & Otis « Big Smokey » Smothers – Chicago Blues Session, Volume 1 », aux côtés de sept autres par Big Smokey Smothers. Les deux bluesmen interviennent séparément, et les accompagnateurs de Blackie sont Luther Adams (guitare), Michael Riley (basse), Willie Kent (basse, également producteur) et Cleo Williams (batterie). Mais le label Wolf sortira seulement l’album en 1998, autrement dit à titre posthume (3). En effet, à l’époque, Boston Blackie se produit notamment avec le chanteur Tail Dragger, les deux hommes étaient d’ailleurs présents au Chicago Blues Festival en juin 1993. Un mois plus tard, le 11 juillet 1993, Tail Dragger chante au Delta Fish Market, où Blackie l’apostrophe et lui réclame 70 dollars qu’il lui devrait suite à leur passage au festival de Chicago. Blackie aurait alors sorti un couteau, et se sentant menacé, Tail Dragger l’abat d’une balle qui entre par son œil gauche et ressort par le sommet de son crâne. Plaidant la légitime défense, Tail Dragger passera dix-sept mois en prison. Quant à Boston Blackie, il disparaît brutalement à seulement quarante-neuf ans, sans avoir eu le temps de véritablement lancer sa carrière…

Sur Maxwell Street, Chicago. © : Pat Monaco Photography.

(1). On trouve peu d’éléments sur l’enfance et la jeunesse de Boston Blackie. Cet article est largement basé sur le texte de pochette de l’album « Boston Blackie & Otis « Big Smokey » Smothers – Chicago Blues Session, Volume 1 », par JoAnne Larson et Richard Shavzin (Wolf, 1998).
(2). Créé par l’auteur Jack Boyle (1881-1928), Boston Blackie était un voleur de bijoux et spécialiste des cambriolages de coffres-forts. Au gré d’adaptations cinématographiques (26 films entre 1918 et 1949), radiophoniques et télévisuelles (la série éponyme, 58 épisodes entre 1951 et 1953), il devint détective privé. Pour la petite histoire, Jack Boyle fut lui-même un voleur pour financer sa consommation d’opium, et il imagina son personnage quand il était en prison…
(3). L’album sera réédité en 2013 sous le titre « ABC Blues ». Je ne peux exceptionnellement vous proposer en écoute des chansons de Boston Blackie. En effet, comme elle en a hélas la fâcheuse habitude, la société allemande qui distribue le label autrichien Wolf (Rebeat Digital), bloque toutes les vidéos de ce bluesman pour de sombres histoires de droit d’auteur. Appliquer une telle règle en ne proposant pas le moindre titre d’un artiste, ce qui participerait en outre à la promotion du label, n’est assurément pas le meilleur moyen de vendre des disques, ça se saurait !

Lors des obsèques de Boston Blackie, le message de condoléances adressé à sa veuve par le maire de Chicago Richard M. Daley. © : Discogs.