
Le premier numéro de la revue hebdomadaire Billboard est sorti en 1894, en publiant au départ des annonces publicitaires dans tous les domaines. Au départ (jusqu’en 1897), son nom est d’ailleurs Billboard Advertising, et billboard se traduit simplement par panneau publicitaire… Au début du siècle dernier, Billboard, qui a des bureaux dans les principales grandes villes américaines mais aussi à Paris et à Londres, s’oriente progressivement vers les secteurs des spectacles et du divertissement. Ses responsables ont également la très bonne idée de mettre en place dès 1904 un service de réexpédition du courrier pour les artistes en tournée, ce qui favorise l’augmentation de l’audience de la revue. Un autre événement notable survient en 1920 quand elle engage James Albert Jackson (1878-1960), un Afro-Américain chargé d’une rubrique destinée au public noir, « Jackson’s Page », qui paraît pour la première fois le 6 novembre de la même année. Bien vite, les journaux noirs du nord reprennent ses chroniques qu’ils signent « Billboard » Jackson, lequel va jouer un rôle important en faveur de la reconnaissance des artistes noirs durant le mouvement de la Harlem Renaissance des années 1920.

Certes, Jackson travaillait alors essentiellement avec les propriétaires de théâtres, mais nous savons que des formations de jazz et des chanteuses de blues classique se produisaient également en ces lieux. En outre, nous sommes en pleine période des race records, avec les labels qui créent des séries de disques faits « par les Noirs pour les Noirs », ségrégation oblige… Dans la seconde moitié des années 1920, le développement rapide de l’industrie musicale (disque, radio et juke-box), et ce malgré la Grande Dépression qui frappe le pays, convainc Billboard de la nécessité d’offrir au consommateur un nouveau service. Il s’agit d’un classement des meilleures ventes de disques établi grâce aux retours de revendeurs, ce que nous appelons un hit-parade mais le terme charts va s’imposer. Le 4 janvier 1936, Billboard publie son premier hit-parade, qui deviendra Music Popularity Chart en juillet 1940, qui intègre aussi les disques les plus joués dans les juke-box et les plus programmés à la radio. Pour cela, la revue dispose de nombreux correspondants qui font remonter les informations.

Ces premiers charts de Billboard concernent la musique « pop », ce qui entend à l’époque les chanteurs populaires (souvent également acteurs et/ou danseurs comme Bing Crosby et Fred Astaire), aux côtés de formations de swing mais aussi de jazz avec des artistes comme Benny Goodman, les frères Tommy et Jimmy Dorsey, Fats Waller, Glenn Miller… Jusqu’en 1941, les Afro-Américains sont quasiment absents en haut du classement, si on excepte le duo composé de Teddy Wilson et Billie Holiday en mai 1937 puis Duke Ellington en juillet 1938. En 1942, quelque 500 000 Afro-Américains vivent à New York, notamment dans le quartier historique de Harlem, ce qui représente un marché considérable. Billboard décide alors de créer son Harlem Hit Parade basé sur ce public, qui habite cette partie de Big Apple alors citée comme la « Black Capital of America ».

Le premier classement sort le 24 octobre 1942, il y a tout juste quatre-vingt-trois ans. L’histoire retiendra que le premier artiste à se hisser au sommet du Harlem Hit Parade est le chef d’orchestre et flûtiste de jazz Andy Kirk avec Take it and git. Le Top 10 ce complète dans cet ordre avec Paul Whiteman et Billie Holiday, Freddie Slack, Earl Hines, Louis Jordan, Lucky Millinder, The Four Ink Spots (qui placent trois chansons aux 7e, 9e et 10e places) et Lil Green. On relève que le chef d’orchestre et pianiste Freddie Slack est blanc, mais c’est le seul, et le Harlem Hit Parade est bien le premier du genre à s’ouvrir aux artistes afro-américains, principalement de jazz et de R&B, puis de blues en fin de décennie. Dans les années suivantes, pour ne pas rester seulement rattaché à Harlem et New York, il s’appellera aussi « Best Selling Retail Race Records » et « Top Race Record ». Fort heureusement, ces désignations dégradantes disparaîtront en 1949 au profit des Rhythm and Blues Charts, aujourd’hui connus sous le nom de charts R&B

