Piano Red, né un 19 octobre

En 1972. © : Chris Strachwitz / Arhoolie Foundation.

Durant la première partie de sa carrière, mais aussi à la fin, ce chanteur-pianiste se faisait appeler Piano Red, tout en optant un temps pour Dr. Feelgood au début des années 1960. C’est d’ailleurs sous ce nom qu’il obtint ses principaux succès, il devint même le premier bluesman afro-américain à entrer dans les charts Pop de Billboard, mais le premier pseudonyme est resté. Son style de piano puissant de type barrelhouse en fit aussi un précurseur du rock ‘n’ roll, mais cet artiste toujours de bonne humeur (feel good !) cherchait surtout à divertir ses audiences, ce qui lui valut une belle popularité. Son frère Speckled Red, son aîné de douze ans, fut également chanteur-pianiste de blues, et tous deux étaient albinos et avaient les cheveux roux, d’où leur surnom « Red ». Il ne faut pas confondre Piano Red avec les bluesmen suivants : Piano C. Red (James Cecil Wheeler, chanteur-pianiste, 1933-2013), Memphis Piano Red (John Williams, chanteur-pianiste, 1905-1982) et Dr. Feelgood (Robert Lee Potts, chanteur-harmoniciste, né en 1943).

Clyde’s Rest Camp à Tallulah Falls en Géorgie, où Piano Red débuta en 1931-1932. © : Rabun County Historical Society / Arhoolie Foundation.

Piano Red naît Willie Lee Perryman le 19 octobre 1911 près de Hampton, une ville de Géorgie environ 45 kilomètres au sud d’Atlanta. Ses parents, Henry E. Perryman et Ada Jane Westmoreland, qui sont métayers, auront beaucoup enfants, entre huit et quinze selon les sources ! La famille s’installe en 1917 ou 1919 à Atlanta, où le père trouve une situation plus fiable dans une usine. On sait peu de choses sur l’enfance de Piano Red, qui a sans doute appris le piano avec son grand frère, les autres membres de sa famille n’étant pas musiciens. Mais l’aîné n’est pas réellement une influence, compte tenu de leur différence d’âge, et surtout du fait que Speckled Red, artiste itinérant, avait quitté la Géorgie au début des années 1920. En tous cas, à douze ans, Piano Red est un pianiste accompli. Sa première grande influence n’est pas un bluesman mais le pianiste de jazz Fats Waller, qu’il découvre grâce aux disques de sa mère.

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Il se produit probablement dès l’adolescence dans des house dances, autrement dit lors de soirées chez des personnes de son entourage familial, durant lesquelles on pousse les meubles dans la maison pour danser. Dans une interview accordée en août 1962 à Chris Strachwitz du label Arhoolie, il dit avoir côtoyé d’autres pianistes locaux dont Cofield West et Ted Wright, puis Eddie Heywood Jr., le plus connu des trois car il accompagna Bessie Smith et Ethel Waters. Peu à peu, il apparaît dans des clubs, et vers 1931-1932, il décroche selon Strachwitz ses premiers engagements payants au Clyde’s Rest Camp à Tallulah Falls au nord de l’État. Parallèlement, il voit dans les rues d’Atlanta des bluesmen ruraux notables dont Tampa Red, Curley Weaver, Blind Willie McTell, Barbecue Bob et Charley Lincoln (vous aurez reconnu les deux frères Robert et Charlie Hicks). Certes, en tant que pianiste, Piano Red ne jouait dans les rues, mais il lui arrivait de le faire dans des clubs en accompagnant des chanteurs-guitaristes comme ceux cités ci-dessus, d’autant plus que les duos piano-guitare sont en vogue dans cette première moitié des années 1930.

Dr. Feelgood & The Interns : Dr. Feelgood (Piano Red), Curtis Smith, Bobby Lee Tuggle, Roy Lee Johnson, Beverly Watkins et Howard Hobbs. Photo tirée du livret « Piano Red, Dr. Feelgood » par Norman Hess. © : New Georgia Encyclopedia.

Piano Red trouve le chemin des studios le 26 juin 1936, justement avec Blind Willie McTell, pour enregistrer trois morceaux chez Vocalion. Le duo revient la semaine suivante, le 1er juillet, pour cinq chansons supplémentaires. Hélas, ces huit faces restent inédites ! Mais il ne peut vivre de sa musique, et malgré une déficience visuelle due à son albinisme (comme son frère Speckled Red), il doit travailler pour subsister, en l’occurrence comme tapissier. Il continue toutefois de se produire dans des clubs le week-end, et en 1950, alors qu’il est programmé par une station de radio à Decatur (une ville juste à l’est d’Atlanta), il attire l’attention de Stephen Henry « Steve » Sholes, producteur chez RCA Victor. Piano Red réalise ainsi son premier single sous son nom, composé des chansons Rockin’ with Red et Red’s boogie. Le succès est fulgurant, Rockin’ with Red (parfois cité comme étant le premier rock ‘n’ roll de l’histoire, avant Rocket 88 l’année suivante) atteint la cinquième place des charts R&B de Billboard, et Red’s boogie la troisième !

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Une réussite grâce à laquelle Piano Red peut se dédier pleinement à la musique, et d’autres hits suivent dont Right string, but the wrong yo yo (1950), Layin’ the boogie (1951), Bouncin’ with Red (1951), She’s dynamite (1953)… Little Richard (sous le titre She knows how to rock) et Jerry Lee Lewis reprendront Rockin’ with Red, et Carl Perkins fera de même avec Right string, but the wrong yo yo, ce qui démontre l’influence de Piano Red sur le rock ‘n’ roll originel. En 1954, Zenas « Daddy » Sears, producteur et animateur de radio pour WAOK à Atlanta, dont il sera un des acheteurs deux ans plus tard, lui confie une émission quotidienne, The Piano Red Show. Bien entendu, il trouve également de nouveaux engagements dans des salles de la région désormais plus importantes. En 1956, Sears réalise pour Groove, une filiale de RCA, un album intitulé « Piano Red in Concert », qui comprend un concert enregistré en février la même année et quelques singles inédits.

© : Arhoolie Foundation.

En 1959, Piano Red enregistre huit faces pour le label Checker des frères Chess avec Willie Dixon à la basse, avant de s’engager pour OKeh en 1961. Il commence alors à se faire appeler Dr. Feelgood et se produit avec un groupe dont le nom change, The Meter-tones, The Houserockers et The Interns, qui comprennent Beverly Watkins, qui se fera plus tard connaître en tant que Beverly « Guitar » Watkins. Dr. Feelgood/Piano Red grave en 1962 Doctor Feel-Good, grâce à laquelle il devient le premier bluesman afro-américain présent dans les charts Pop de Billboard. Quant à la chanson en face B, Mr. Moonlight, elle sera reprise en 1964 par les Beatles sur leur album « Beatles for Sale ». Bien qu’il n’ait ensuite plus enregistré de hits, Piano Red reste très populaire et demandé pour sa verve et son éternelle bonne humeur. Les salles les plus prestigieuses comme l’Apollo à New York lui ouvrent leurs portes, et dans les années 1970, il tourne à plusieurs reprises en Europe, où il semble même plus apprécié que dans son pays natal… Jusqu’en 1979, il est toutefois resté fidèle à un club fameux d’Atlanta, le Muhlenbrink’s Saloon. Dans les années 1970 et 1980, il a réalisé une dizaine d’albums, auxquels s’en ajouteront quelques autres qui sortiront à titre posthume. Piano Red nous a quittés le 25 juillet 1985 à soixante-treize ans, emporté par un cancer. Le maire d’Atlanta et le gouverneur de Géorgie ont assisté à ses funérailles.

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Voici maintenant dix plages en écoute (huit chansons et deux extraits de festivals).
Rockin’ with Red en 1950.
Red’s boogie en 1950.
Right string, but the wrong yo yo en 1950.
Layin’ the boogie en 1951.
Bouncin’ with Red en 1951.
She’s dynamite en 1953.
Doctor Feel-Good en 1962.
Mr. Moonlight en 1962.
Ain’t goin’ to be your low down dog no more et Please, baby, come on home en 1974 à Montreux.
Live at the Molde Jazz Festival en 1978.

Vers 1980. Charles Paul Harris / Michael Ochs Archives / Getty Images.