Jupiter Hammon, né un 17 octobre

© : BLACK Calendar.

Ne cherchez pas. Hammon n’était pas un bluesman, d’autant qu’il a vécu au XVIIIe siècle. Mais depuis quarante ans, le 17 octobre aux États-Unis est le Black Poetry Day, fondé en 1985 pour honorer les auteurs afro-américains de poésies. Et comme les chances sont maigres de voir l’actuel président américain célébrer l’événement, j’ai souhaité, à mon très modeste niveau, consacrer aujourd’hui un article au sujet. Hautement symbolique, la date n’a pas été choisie au hasard mais pour rendre hommage à Jupiter Hammon, né le 17 octobre 1711, et qui devint également le premier poète afro-américain publié en Amérique du Nord en 1761. Le blues est certes la musique de la ségrégation et non de l’esclavage, mais ces écrits anciens d’auteurs afro-américains, qui reposaient beaucoup sur des références bibliques, se retrouveront au XIXe siècle dans les premiers spirituals. Bien entendu, ils alimenteront les textes du gospel à partir des années 1920, mais aussi un des courants à mon sens les plus intéressants du blues, le Gospel Blues, également appelé Sacred Blues ou Holy Blues. Vous trouverez en conclusion de cet article une sélection de dix chansons par des interprètes représentatifs du genre.

Plaque dédiée à Hammon à Huntington, État de New York, où il a vécu de 1799 à 1806. © : Jordan Romano / The Historical Marker Database.

Mais avant cela, arrêtons-nous un peu sur Jupiter Hammon, qui est donc né le 17 octobre 1711 à proximité de New York sur le site de l’actuel Lloyd Harbor à Long Island, possession de la famille Lloyd depuis 1676. Selon Sondra O’Neale dans Jupiter Hammon and The Biblical Beginnings of African American Literature (Scarecrow Press, 1993), ses parents sont Opium et Rose, qui font partie des premiers esclaves de la famille Lloyd. Malgré sa condition, les Lloyd permettent à Hammon de s’instruire, afin qu’il les aide dans leur comptabilité et les négociations de leurs affaires. Son éducation est complétée par l’Anglican Church’s Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts. Amené à fréquenter des amis de la famille Lloyd très influencés par le Great Awakening (grand réveil), un mouvement de renouvellement spirituel pour « réveiller » la foi, il devient lui aussi un chrétien fervent.

Le poème du 25 décembre 1760. © : New York Historical Society.

Hammon apprend ainsi à lire et écrire, et fait vite preuve de talents littéraires en rédigeant des poèmes dans lesquels il emploie fréquemment la métaphore, ce qui lui permet d’évoquer indirectement l’esclavage sans prendre de risques. On ignore la date de ses premiers écrits, mais en 1761, il publie à cinquante ans son poème An Evening Thought: Salvation by Christ, with Penitential Cries, daté du 25 décembre 1760, ce qui est donc une première pour un Afro-Américain en Amérique du Nord. Il est beaucoup question dans le texte de rédemption, de salut (de l’âme), de libération des pécheurs, autant de thèmes qui apparaîtront un siècle plus tard dans les spirituals. Il doit attendre 1778 pour sortir une autre œuvre, An Address to Miss Phillis Wheatley, en hommage à Phillis Wheatley qui était devenue cinq ans plus tôt la première femme afro-américaine à publier un recueil de poésie en Amérique du Nord…

Gravure représentant Phillis Wheatley en 1773. © : Preservation Long Island.

En 1778 et 1782, Hammon publie deux autres poèmes, et en tant que membre d’une communauté afro-américaine éduquée, il prend de plus en plus position comme abolitionniste, d’autant qu’il se révèle également en orateur de valeur. Le 24 septembre 1786, à près de soixante-quinze ans, dans le cadre du Spartan Project de l’African Society, il prononce à New York le discours Address to Negroes of the State of New-York, dans lequel il dit notamment : « Si jamais nous accédons au paradis, nous ne trouverons personne pour nous reprocher d’être noirs ou esclaves. » Et s’il ne souhaitait pas la liberté pour lui-même, il espérait qu’on l’accorde aux autres, et plus particulièrement aux Noirs les plus jeunes. Son texte sera utilisé et diffusé dans les cercles abolitionnistes alors de plus en plus nombreux, et dans ce domaine, Hammon est aussi un pionnier. On ne sait quasiment rien de ces dernières années mais il a vécu jusqu’à un âge très avancé. Il serait en effet mort en 1806, à quatre-vingt-quinze ans, toujours esclave…

Washington Phillips en 1928. © : Wikimedia Commons.

Voici maintenant dix chansons en écoute par des artistes de Gospel Blues, dont les textes s’appuient souvent sur des références employées par Hammon dans ses écrits.
Denomination blues part 1 & 2 en 1927 par Washington Phillips.
It’s nobody’s fault but mine en 1927 par Blind Willie Johnson.
God’s gonna separate the wheat from the tares en 1927 par Blind Joe Taggart.
Take your burdens to the lord en 1927 par Blind Roosevelt Graves & Brother.
In times of trouble Jesus will never say goodbye en 1928 par Rev. Edward W. Clayborn.
I am in the heavenly way en 1930 par Washington « Bukka » White & Miss Minnie.
If you see my saviour en 1933 par Thomas A. Dorsey.
I am the light of the world en 1935 par Gary Davis.
By and by (I’m gonna see the king) en 1961 par Pearly Brown.
Just a closer walk with thee en 1964 par Robert Wilkins.

© : Stefan Wirz.