Les disques de l’année 2025, # 1 : Furry Lewis

© : Bluesville Records.

Pour la cinquième année consécutive, je vous propose ma liste des 10 disques qui ont selon moi marqué cette année 2025. Comme toujours, je vous rappelle qu’il ne s’agit pas d’un classement, mais seulement d’une liste de mes dix disques préférés. En revanche, début 2026, je publierai cette fois un véritable Top 10 de ces albums de l’année 2026. Comme l’année dernière, outre les disques, je vous proposerai aussi une liste de mes cinq livres favoris. À compter d’aujourd’hui jusqu’aux fêtes de fin d’année, vous trouverez donc chaque semaine la présentation d’au moins un disque ou un livre. Je débute avec une réédition issue de la remarquable série « Bluesville Records » par Craft Recordings, qui propose des enregistrements historiques de grands bluesmen : il s’agit de « Back on My Feet Again » par Furry Lewis, enregistré en 1961.

Sam Charters, Izzy Young, Memphis Willie B., Furry Lewis et Gus Cannon, Izzy Young’s Folklore Center, New York, 1964. © : Ann Charters.

À cette époque, Furry Lewis profite du Blues Revival, dont il est une redécouverte essentielle, pour mener une deuxième carrière. Né entre 1893 et 1899 à Greenwood, Mississippi, Lewis a toutefois grandi à Memphis. D’abord musicien itinérant puis plus sédentaire après un accident de train qui lui cause l’amputation d’une jambe en 1916, il est employé municipal au nettoyage à Memphis, où il joue dans les rues. Son registre large emprunte à la musique folklorique des medicine shows et des string bands itinérants, aux jugs bands, au blues de Memphis initié par Frank Stokes et Jim Jackson, ou encore au gospel blues de Robert Wilkins. Excellent chanteur, Furry Lewis se distingue également par son jeu de guitare slide hyper expressif. Ses qualités lui valent d’enregistrer 27 faces entre le 20 avril 1927 et le 29 septembre 1929, dont on peut dire qu’elles sont toutes magnifiques.

© : Stefan Wirz.

Cela n’empêche pas Furry Lewis, comme bien des bluesmen de sa génération, de cesser d’enregistrer au moment de la Grande Dépression, tout en restant actif dans les rues et les clubs de Memphis. Puis, en 1959, après trente ans de silence discographique, l’ethnomusicologue Sam Charters lui permet d’enregistrer un album chez Folkways, « Furry Lewis », qui démontre un talent intact. Deux ans plus tard, début avril 1961, toujours pour Charters mais cette fois chez Prestige Bluesville, il signe l’album qui nous intéresse ici, « Back on My Feet Again », suivi de très près (en mai !) d’un autre, « Done Changed My Mind ». Le disque Folkways est excellent mais les deux Prestige Bluesville sont encore supérieurs, peut-être parce que la prise de son met encore mieux en valeur les qualités vocales et instrumentales du bluesman. En tout cas, « Back on My Feet Again » est bien un des meilleurs albums de Lewis et même du Blues Revival.

Vers 1927. © : Wikimedia Commons.

Après cela, extrêmement populaire, il va figurer parmi les bluesmen les plus demandés lors des festivals, et dès lors se faire plus rare sur disque. Il retrouve néanmoins le chemin des studios à partir de la fin des années 1960, et pratiquement jusqu’à sa mort en 1981, il va multiplier les enregistrements, qui, sans être négligeables, sont souvent des redites de ses disques plus anciens. Mais l’œuvre importante de Furry Lewis ne saurait être sous-estimée. Pour revenir à « Back on My Feet Again », je vous invite à lire ci-dessous le texte de ma chronique publiée dans le numéro 260 de Soul Bag, et j’ajoute quatre extraits en écoute, John Henry, Big chief blues, Old Blue et I’m going back to Brownsville.

© : Stefan Wirz.

FURRY LEWIS – BACK ON MY FEET AGAIN
MEMPHIS BLUES
Enregistré à l’origine les 3 et 4 avril 1961, « Back on My Feet Again » est souvent considéré comme le meilleur disque du bluesman après sa redécouverte en 1959. Tout au long de cet album archétypal du Blues Revival, Lewis émerveille avec sa voix traînante un peu véhémente et sa guitare slide cristalline inimitable. Même John Henry, Shake ’em on down et St. Louis blues, classiques interprétés par des dizaines (des centaines ?) d’artistes, dégagent une émotion vraie. Mais la variété est au rendez-vous avec des chansons moins connues, en premier lieu les blues lents Big chief blues et Back on my feet again, Old Blue, folk blues archaïque et rigolo qui raconte l’histoire d’un chien nommé Blue qui nous ramène à l’époque des medicine shows, la ballade triste Roberta. Et puis, il y a I’m going back to Brownsville, sa poésie surannée et cette guitare prenante qui alterne traits de slide et arpèges, l’incarnation même du blues de Memphis dont Lewis est un des créateurs. Le bluesman réenregistrera ensuite (trop) souvent ces chansons mais ce disque est une matrice, un objet inestimable à chérir. © : Daniel Léon / Soul Bag.

Chez lui à Memphis le 13 août 1976. © : Barney Sellers / The Commercial Appeal.