Portfolio : l’accordéon, emblème de la musique louisianaise

Le daguerréotype qui ouvre ce portfolio, réalisé entre 1850 et 1855, est le plus ancien document photographique connu qui montre un accordéoniste (non identifié) en Louisiane, d’évidence un Créole. © : Louisiana State Museum.

Cela faisait longtemps que j’envisageais de consacrer un portfolio à l’accordéon, instrument phare de la musique cadienne et du zydeco, traditions musicales qui me sont particulièrement chères. Il est donc temps d’y venir d’autant que l’histoire de l’accordéon en Louisiane est très ancienne. Elle débute en effet probablement dans la première moitié du XIXe siècle, autrement dit à une époque où le blues (tout comme le jazz) n’était même pas encore en gestation. On prête souvent l’invention de l’accordéon « moderne » à l’Allemand Christian Friedrich Ludwig Buschmann, concepteur en 1822 d’un instrument certes archaïque, mais quand même muni d’un soufflet, d’un clavier et de boutons, qu’il appelle handäoline. Sept ans plus tard, le 6 mai 1829, l’Autrichien d’origine arménienne Cyrill Demian dépose le brevet d’un instrument dérivé qu’il a amélioré, qu’il nomme cette fois akkordion. L’accordéon est né et se répand rapidement.

Accordéon français, vers 1860. Museum of Fine Arts, Boston, Massachusetts. © : Wikimedia Commons.

Et comme d’autres Européens, des colons allemands investissent alors la vallée du Rio Grande, une région très fertile à la frontière du Mexique et du Texas, où ils introduisent l’accordéon, qui sera la base d’un style musical local, le conjunto norteno. De nos jours, nous savons aussi, du fait de la proximité géographique des deux États, que des artistes de musique cadienne et de zydeco installés en Louisiane sont originaires du Texas. En tout cas, dès 1834, le fabricant d’instruments Charles Bruno (un Allemand comme son nom ne l’indique pas !) a une antenne à San Antonio où il propose des accordéons. Parallèlement, d’autres Allemands arrivent en Louisiane par l’embouchure et le cours inférieur du Mississippi, favorisant davantage la propagation de l’instrument, probablement dès les années 1840.

Ce dessin qui montre un gardien de phare allemand près de l’embouchure du Mississippi en 1871 prouve la présence de l’instrument dès cette époque en Louisiane. © : Louisiana Folklife.

En Louisiane, l’accordéon n’est pas très présent dans les zones marécageuses des bayous, mais dans les vastes prairies de l’Acadiane (qui occupe 37 000 km2 au centre-sud de l’État), où les colons exploitent des fermes en cultivant essentiellement du riz. La musique cadienne existe déjà mais le violon prédomine. Néanmoins, l’accordéon s’impose peu à peu, d’autant qu’il est relativement facile à fabriquer et pas si cher car la production locale se développe, son apprentissage est plutôt rapide, et surtout son volume sonore est un avantage ! Comme nous le verrons dans le portfolio, aux côtés des Cadiens venus au XVIIIe siècle de l’Acadie au nord-est du Canada (mon article du 21 juin 2024), des Créoles également francophones utilisent bien l’accordéon dès les années 1850. Dans les années 1920, ils réaliseront les premiers enregistrements de musique cadienne ou cajun, et à partir de la fin de la décennie suivante, des artistes cette fois plus souvent anglophones créeront un nouveau courant avec des ingrédients tirés du blues et du R&B, le zydeco. Dans tous les cas, l’accordéon reste l’instrument central dans ces traditions qui s’entremêlent pour mieux cohabiter, dont les racines nous ramènent au moins 175 ans en arrière et qui demeurent aujourd’hui très vivaces. Je vous propose donc 30 images qui retracent cette belle histoire avec quelques grandes figures.

Accordéon diatonique à boutons, début du XXe siècle. Version alors très prisée des musiciens cadiens et des Créoles francophones durant la période 1880-1910, dans une version déjà plus évoluée que ses devanciers. © : Nathan McKnight / Wikimedia Commons.

Amédé Ardoin en 1929 à Eunice. Il n’existe malheureusement pas de photo montrant Ardoin avec son accordéon : celle-ci, retrouvée en 2021 par Ann Savoy, provient de Mazie Broussard, qui fut la petite amie d’Ardoin… Premier « créole noir » auteur d’enregistrements de musique cajun en 1929, son style avant-gardiste en fait aussi un précurseur du zydeco. © : This Week in Cajun Music. © : This Week in Cajun Music.

Ophey (Ophé) Breaux, Amédée Breaux et Aldus « Popeye » Broussard, prob. début des années 1930. Les Breaux forment une famille pionnière de la musiquescadienne. Le 18 avril 1929, Cléoma Breaux (chant, guitare), Amédée Breaux (accordéon), Ophé Breaux (guitare) et Cléopha Breaux (violon ou fiddle) gravent Ma blonde est partie, sans doute le premier enregistrement du standard Jolie blonde. © : Wikimedia Commons.

Cléoma et Joe Falcon en 1934. Six ans plus tôt, le 27 avril 1928, tous deux gravèrent Lafayette (Allons à Lafayette/Luafette) et La Valse Qui Ma Portin De Ma Fose (La valse qui m’a porté en terre), tout simplement le premier disque de musique cadienne de l’histoire ! © : Lauren C. Post / The Historic New Orleans Collection.

Dewey et Euphemie Segura, années 1930. L’accordéoniste Dewey Segura a également signé des faces dès 1928. © : Collection Ann Savoy.

John Dyson et sa femme, septembre 1940, Saint Mary’s County, Maryland. Exception avec cette photo prise dans le Maryland qui montre que l’accordéon était pratiqué en dehors de la Louisiane. Alors âgé d’au moins quatre-vingts ans, Dyson est né esclave. © : John Vachon / Library of Congress.

Lead Belly à l’accordéon, vers 1942. Natif de Louisiane, Huddie Ledbetter était un multi-instrumentiste au registre très large. © : Library of Congress.

Cleveland et Clifton Chenier, fin des années 1940. À l’époque, Clifton ne se doutait sûrement pas qu’il deviendrait quelques années plus tard le roi incontesté du zydeco… © : Courtesy of Johnnie Allan / The Center for Louisiana Studies and Special Collections/ UL Lafayette.

Terry Clément and his Rhythmic Five, 1952. © : This Week in Cajun Music.

accompli, Sidney Brown fut aussi la première personne à fabriquer des accordéons cadiens après la Seconde Guerre mondiale. D’autres musiciens célèbres utiliseront ses instruments, dont Jo-El Sonnier, Boozoo Chavis et Marc Savoy, qui prendra ensuite le relais comme fabricant (lire plus loin). © : Early Cajun Music.

Les Balfa Brothers au début des années 1970, avec Hadley Fontenot à l’accordéon. © : Facebook Cajun Music Society.

Nathan Abshire. © : Sing Out! Magazine.

Marc et Ann Savoy en 1985. En 1965, Marc Savoy, qui est lui-même musicien, a ouvert le Savoy Music Center à Eunice, où il fabrique des accordéons. Il est également l’auteur, tout comme sa femme (dont les collections qui comprennent interviews et photographies sont archivées à la Arhoolie Foundation), de nombreux écrits qui font autorité. © : Collection Ann Savoy.

Accordéon cadien. © : Ann Savoy / Country Roads Magazine.

Aujourd’hui âgée de quatre-vingt-seize ans, Queen Ida fut la première accordéoniste à la tête d’un groupe de zydeco, avant d’être récompensée d’un Grammy Award en 1982. © : From the Vaults.

Fernest Arceneaux. © : From the Vaults.

Boozoo Chavis. © : Louisiana State Museum / 64 Parishes.

Rockin’ Dopsie. © : Profil Facebook de Dwayne Dopsie and the Zydeco Hellraisers.

Rockin’ Sidney en 1987 au Jazz and Heritage Festival à La Nouvelle-Orléans. © : Burt Steel / New Orleans Jazz and Heritage Foundation.

Alphonse « Bois Sec » Ardoin en 1990 à Eunice. Cousin d’Amédé Ardoin… © : Alan Govenar.

Buckwheat Zydeco en 2010 au Jazz and Heritage Festival à La Nouvelle-Orléans. © : Rick Diamond / Getty Images / The Current.

Geno Delafose. © : Louisiana Food & Wine Festival.

Rosie Ledet. © : Downtown Cajun Band.

Anthony Rubin et son frère David Rubin aka Rockin’ Dopsie Jr. © : David Simpson / The Daily Advertiser.

Cedric Watson. © : Profil Facebook de Cedric Watson.

Dwayne Rubin aka Dwayne Dopsie propose un zydeco… musclé ! © : American Blues Scene.

Corey Ledet aux Festivals Acadiens et Créoles en 2022. © : David Simpson / Le Louisianais.