Cahors Blues Festival 2025, interview de Jean-Luc Suarez

© : Collection Jean-Luc Suarez.

L’échéance est désormais très proche : la prochaine édition du Cahors Blues Festival débutera ce 10 juillet pour s’achever le 12 juillet. Une véritable renaissance pour cet événement si important de notre calendrier, malheureusement annulé l’an dernier pour des raisons financières. Le 22 juillet 2022, à l’occasion des quarante ans du festival, son président Robert Mauriès avait accepté de répondre à mes questions dans une interview publiée sur ce site. Trois ans après, Jean-Luc Suarez, qui a rejoint l’équipe en fin d’année dernière, a bien voulu se livrer au même exercice et je l’en remercie. Mais avant de lui laisser la parole, je vous rappelle la programmation du Cahors Blues Festival 2025, qui est absolument somptueuse.

© : Cahors Blues Festival.

Mardi 8 juillet
– Si vous êtes déjà sur place deux jours avant le début proprement dit du festival, une préouverture se tiendra le 8 juillet en terrasse du V and B à Cahors avec le groupe français Hot Chickens.
Jeudi 10 juillet
– Scène « Village off du festival » à partir de 17 h 30. Carte blanche à la Toulouse Blues Society qui proposera trois formations françaises : Bounce Back (quartette de West Coast et Chicago Blues), The B-Blues Company (Ben Jacobacci en solo dans la formule du one-man band), et Thomas Sarrodie & The Bi-Polar Blues (trio de blues moderne teinté de rock).
– Scène principale (salle de l’espace Valentré). The SuperSoul Brothers (France, à 21 h, blues, funk, rock…) et Bernard Sellam Big Band and The Boyz from the Hood (France, à 22 h 45, release party pour la sortie du nouvel album du groupe).
Vendredi 11 juillet
– De 10 à 12 h, Forum France Blues avec les différents acteurs professionnels du monde du blues.
– Scène « Village off du festival ». Quasi Blues (France, à 17 h 30, duo composé du chanteur-guitariste Fabrice Joussot, ancien membre du groupe Flyin’ Saucers Gumbo Special, et de Stéphane Bertolino, longtemps harmoniciste d’Awek) et The Blues Kid Combo (France, à 19 h 30, trio autour du jeune chanteur-guitariste Enzo Cappadona).
– Scène principale. Haylen (France, à 21 h, chanteuse de blues, blues rock, soul…) et Nick Moss & Dennis Gruenling (États-Unis, à 22 h 45, deux des meilleurs représentants actuels du Chicago Blues).
Samedi 12 juillet
– Scène « Village off du festival ». Bourbon Street (France, à 17 h 30, musiques de La Nouvelle-Orléans) et Kévin Doublé Quartet (France, à 19 h 30, blues et jazz).
– Scène principale. Koko-Jean & The Tonics (France, à 21 h, blues, soul blues, funk) et Kid Andersen Greaseland All Stars feat. Rick Estrin, Alabama Mike and The Capitol Horns (États-Unis, à 22 h 45, cette fois, c’est le meilleur du West Coast Blues !).

Loan (petit-fils de Jean-Luc), Jean-Luc Suarez, Nick Moss et Pierce Downer (son batteur), le 11 novembre 2025 à Albi. © : Collection Jean-Luc Suarez.

INTERVIEW DE JEAN-LUC SUAREZ
Pour Jean-Luc Suarez, collaborer avec Cahors s’assimile à des retrouvailles car son parcours a croisé celui du festival dès la deuxième édition en 1983 ! Malgré des obligations professionnelles prenantes, il est toujours resté fidèle au blues en s’impliquant dans d’autres projets dont Rhésus Blues Productions avec Jacques Garcia (maison et musée du Blues), et plus près de nous dans Bluz Track Productions, Bluz Track Records et le festival Técou en Blues avec Pascal Delmas (batteur, programmateur, agent…). Sollicité par Robert Mauriès en septembre 2024, il a donc repris du service pour Cahors. Ne manquons donc pas l’occasion de mieux faire connaissance avec ce véritable « activiste » du blues.

Jimmy « T99 » Nelson, Jean-Luc Suarez et Philippe Combre en 1992 au Cricketers à Bordeaux. © : Collection Jean-Luc Suarez.

Tout d’abord, peux-tu simplement te présenter ?
Mon accent prouve que je viens du sud-ouest, je suis né en 1961 à Carmaux dans le Tarn. Au lycée dans cette ville où il y avait beaucoup de rock, des amis faisaient de la musique, et naturellement je me suis dit que ce serait une bonne idée d’en faire aussi. J’ai donc chanté et joué de l’harmonica dans un groupe, on était sur du Status Quo et du AC/DC, ce qu’on écoutait à la fin des années 1970. Mais j’ai arrêté car j’étais asthmatique mais surtout parce que j’étais mauvais. D’autant que suis également très ami avec Vincent Bucher, pour moi la référence absolue, et à un moment donné je suis simplement passé de l’autre côté car c’était respectueux à l’égard de la musique. Puis, un jour, un disquaire qui faisait bien son boulot m’a dit : « Si j’étais toi, j’écouterais des choses un peu plus blues car ça semble bien te plaire. » Il m’a vendu « White, Hot and Blue » de Johnny Winter, et le disque est resté sur ma platine pendant au moins trois mois. L’histoire a débuté là, et à partir de cet album j’ai cherché à connaître les auteurs des morceaux, j’ai découvert Muddy Waters et consorts, puis j’ai acheté des dizaines de disques et c’est vraiment devenu une énorme passion.
Parallèlement, bien que je m’appelle Suarez, j’avais un grand-père italien, donc j’écris et je lis cette langue, et j’étais abonné à Il Blues qui existe toujours. Je faisais des piges, j’étais dans la vingtaine, j’étudiais l’informatique à Toulouse. Et en 1983, à vingt-deux ans, je suis venu pour la première fois au festival de blues de Cahors. C’était la deuxième édition et j’ai rencontré Gérard Tertre, le fondateur. Je lui ai parlé de mes piges pour Il Blues et je lui ai dit que j’aimerais faire des photos et quelques interviews de bluesmen. Ça s’est bien passé avec Gérard qui m’a invité à venir dans l’organisation à partir de 1984. Dès lors, je me suis occupé des musiciens parallèlement à mon activité d’informaticien. Nous achetions la totalité de la programmation à Jazz Me Blue avec Jean-Marie Monestier et Didier Tricard, et c’était d’ailleurs très bien.
Mais Gérard Tertre m’a suggéré de proposer mes propres artistes… Or, j’étais fan de blues du Delta et déjà en contact avec David Evans. Je l’ai donc contacté pour lui demander si on pouvait faire quelque chose de spécifique pour Cahors. Et en 1987, David est venu avec Jessie Mae Hemphill. Pour amortir le voyage, j’ai organisé une petite tournée dans le grand sud-ouest et même au-delà. À l’époque, Jacques Garcia s’occupait de l’organisation du Salaise Blues Festival, il a pris Jessie Mae, on a fait quelques dates, on est devenus potes, et à partir de là on a pensé qu’il serait possible de faire tourner des bluesmen peut-être un peu différents de ceux de Jazz Me Blue. Un jour, j’avais acheté pour 8 000 francs de disques. Ils étaient sur mon bureau, ils venaient d’Angleterre, et je me suis demandé pourquoi j’avais fait ça, je me suis dit que j’aurais peut-être mieux fait de les dépenser pour faire jouer des musiciens en activité. On a donc monté notre société Rhésus Blues Production, elle est née de ça. En outre, en 1988, Jacques avait fait venir Otis Grand au festival de Salaise, tout a bien fonctionné avec Otis, on a fait des dizaines de concerts avec lui pendant cinq ans et avec Rhésus.

Pascal Delmas, Jean-François Baulès et Jean-Luc Suarez. © : Collection Jean-Luc Suarez.

Je m’impliquais aussi dans l’organisation de Cahors, avec Otis et Joe Louis Walker, qui différaient alors des bluesmen classiques que l’on voyait par ailleurs. En 1992, on a financé le deuxième album d’Otis, mais j’ai aussi mené d’autres choses sans rapport avec le blues, dans la politique de la ville, on avait un grand projet de restructuration de la mine à ciel ouvert du Carmausin dont je suis devenu directeur général. À partir de 1994, j’ai pris du recul par rapport à Rhésus pour me consacrer à mon territoire car c’était compliqué de faire les deux en même temps. J’ai donc fait un break de 30 ans tout en restant ami avec Jacques, notamment quand il était à Ampuis puis quand il a monté son musée.
Ensuite, il y a quatre ans, un autre ami (Jean-François Baulès) avec lequel j’ai fait mes études m’a appelé, il est maire d’une commune de 1 100 habitants pas loin de Carmaux qui s’appelle Técou. Il voulait me montrer sa nouvelle salle. J’y suis allé un peu en marche arrière mais c’était en fait une très belle salle, un magnifique outil, d’environ 300 à 350 places. On a lancé Técou en Blues avec notamment Crystal Thomas, mais on voulait aussi proposer des concerts à d’autres moments de l’année, en 2022 on est passé à un festival sur deux jours, puis à trois ou quatre soirées par an, et cette année il a duré trois jours. Tout ça fonctionne très bien et je pense que beaucoup aimeraient être à notre place car on est toujours complets, la salle est désormais presque trop petite.
En outre, une résidence d’artistes a été construite à côté de la salle en quinze jours, ce qui est exceptionnel, avec seize couchages, un studio d’enregistrement et une pièce de 100 m2. Tout ça est géré par une association que je préside, qui succède à Técou en Blues, et qui peut utiliser la totalité de ces équipements depuis le 1er juin. Grâce à cela, au-delà de ce que nous faisons habituellement en termes de blues, on peut proposer des concerts plus intimistes, on a d’ailleurs fait venir dans ce cadre David Evans (le 4 avril) dans un collège pour une conférence et un concert. Et quand on a commencé Técou, j’étais aussi ami depuis une trentaine d’années avec Pascal Delmas quand il était le batteur d’Otis Grand, qui habite aussi dans le département du Tarn. Il voulait aussi repenser Bluz Track Productions qui est devenue une société, une SAS que je préside aussi. Et l’été dernier, on a créé Bluz Track Records, pour enregistrer Kevin Doublé puis Bernard Sellam. On veut donner une autre dimension à Técou qui ne va pas faire que du blues mais aussi du jazz, de la danse, du théâtre…

En quoi consistent Bluz Track Productions et Bluz Track Records ?
La première est une agence de booking qui fait tourner des musiciens, pour l’an dernier ça représente près de 140 dates, avec du classique ou des choses plus atypiques, comme par exemple Bernard Sellam, Crystal Thomas, Dawn Tyler Watson, Koko-Jean & The Tonics… Ceci dit, je regarde ça un peu de loin car Pascal Delmas est vraiment l’artisan de cette société. Il a aussi tourné ce printemps avec Johnny Sansone. Pour ce qui est du label, il faut avouer qu’aujourd’hui une compagnie discographique c’est la misère, ça n’a pas de réalité économique. L’intérêt d’un label est de fabriquer un support de communication pour obtenir des dates. Il ne s’agit donc pas de faire du disque pour faire du disque, et ce qu’on fait avec Kevin Doublé et Bernard Sellam, c’est pour disposer d’un support pour trouver des dates.

J’ignorais la partie de ton histoire relative aux débuts de Cahors dès les années 1980, donc aujourd’hui tu reviens en quelque sorte dans l’aventure…
En fait, quand Cahors a pris la décision d’annuler l’an dernier, Robert Mauriès était désespéré, et pour moi c’était aussi un crève-cœur. En septembre 2024, il m’a contacté, ça tombait bien car j’ai pris ma retraite en octobre. Je travaillais alors à Vichy mais en redescendant on s’est vus et je lui ai dit ce que j’envisageais pour que Cahors puisse continuer à fonctionner économiquement. On a réduit plusieurs postes, on a renégocié avec la mairie, on est revenus au foyer Valentré qui est la première salle de Cahors. L’enveloppe financière a été réduite mais sans toucher à la qualité de la programmation, et aujourd’hui les réservations ont bien suivi, sans oublier une confiance retrouvée avec la mairie et les collectivités territoriales. Actuellement, pour Cahors, je suis trésorier car la place était libre, on aura une assemblée générale cet automne, et en attendant on va dire que je fais office de vice-président.

© : Collection Jean-Luc Suarez.

Cahors est un festival important au niveau national et même européen, comment on repart après un tel coup d’arrêt ?
Justement, le fait de mettre une tête neuve comme la mienne, ça permettait aussi de dire plus facilement les choses à l’équipe de Cahors, c’était peut-être plus compliqué pour Robert d’évoquer des coupes. Et les choses se passent très bien, il n’y a pas de sujet pour moi là-dessus. Cahors est assez loin de chez moi, à une heure et demie de route, on fait des réunions tous les quinze jours, l’équipe en place n’attendait que ça pour repartir, et la mairie nous supporte vraiment avec force.

Finalement, de l’extérieur, quand on voit la qualité du plateau, on ne soupçonne pas les difficultés rencontrées…
On le doit aussi beaucoup à Pascal qui a travaillé pour que le festival ait cette forme, Cahors reste un nom même pour les artistes américains, je pense par exemple à Nick Moss. On l’avait fait venir en novembre à Técou et il a voulu venir à Cahors, d’ailleurs c’est une exclusivité française. Idem pour le deuxième plateau, il était aussi important pour eux de venir à Cahors. Je ne suis pas du genre à faire des compromis, seul le blues m’intéresse et il est hors de question d’avoir telle ou telle tête d’affiche pour faire venir des gens ou faire plaisir à la collectivité. Si on prend les débuts de Cognac avec Michel Rolland, c’est Rhésus Blues qui s’en occupait. J’ai une relation affective avec Michel et Cognac depuis très longtemps, et la forme actuelle de ce festival est légitime car il y a d’énormes sponsors avec les producteurs de cognac. Je me souviens d’avoir discuté avec Michel quand il a été confronté avec ce choix, à l’époque c’était Hennessy. Mais si tu signes avec Hennessy, ça signifie que tu dois avoir 10 000 à 12 000 personnes chaque soir, à ce moment-là il y avait encore B.B. King mais c’est fini. Aujourd’hui, avec un bluesman, on attire au maximum 1 000 personnes, à Cognac Robert Cray a fait la première partie d’Ibrahim Maalouf, et de cette façon les 6 000 ou 7 000 places du jardin public sont remplies. Dès lors, si tu veux organiser un festival uniquement de blues, il faut partir en sachant cela, sur l’idée d’avoir 800 personnes par soirée, et le budget total du festival doit tenir compte de cela.

Jean-François Baulès, David Evans et Jean-Luc Suarez, le 5 avril à Salaise-sur-Sanne. © : Collection Jean-Luc Suarez.

Heureusement, ça n’empêche pas un festival comme Cahors d’être encore là et de continuer, quelle est la recette ?
C’est tout à fait possible mais sur cette épure financière. J’ai d’abord travaillé dans la fonction publique avant d’évoluer dans le privé, par exemple dans un groupe qui faisait des résidences pour les séniors (1). Je suis donc familier du business et je sais me servir d’une machine à calculer, on est dans une situation de crise avec les collectivités mais aussi avec les entreprises. Et aujourd’hui, ce n’est certes que mon avis qui est donc discutable, on ne peut pas faire un festival avec moins de 60 % de recettes propres, c’est-à-dire la billetterie, la nourriture et les boissons. En dessous de 60 % tu te mets en danger, car les partenariats et les subventions peuvent fondre comme neige au soleil. J’en parlais il y a peu avec les gens de Nantes (Rendez-Vous de l’Erdre), c’est la fin du monde là-bas, la présidente de la région a réduit le budget de la culture de 73 %. Pour avoir des artistes à des prix acceptables, il faut se bouger, les rencontrer, discuter avec eux, éventuellement trouver d’autres dates, c’est un tout pour l’organisateur d’un festival de blues. En appliquant tout ça, économiquement tu arrives à passer. On ne peut pas acheter de l’artiste sur catalogue, financièrement ça ne fonctionne pas.

Concernant le choix des artistes pour cette année, comment avez-vous procédé ?
C’est un choix collectif même si ça se gère entre Pascal et moi. Pour moi, c’était un peu nouveau au niveau de ma relation avec Robert même si on se connaissait depuis un certain temps, mais ça s’est très bien passé. Concernant nos deux têtes d’affiche de vendredi et samedi, Nick Moss avait déjà joué à Técou donc c’était facile. Quant à Rick Estrin (au sein des Greaseland All Stars de Kid Andersen, avec aussi Alabama Mike), il était déjà venu au Bay-Car il y a deux ans. Enfin, Alabama Mike a tourné l’an dernier, pas avec nous mais on l’avait quand même pris à Albi. Donc on connaît ces artistes. Personnellement, je ne connaissais pas Haylen, c’était plutôt du côté de Robert, on voit souvent les SuperSoul Brothers d’autant qu’ils sont de la région, et on fait le disque avec Bernard… Tout s’est donc fait plutôt facilement, l’essentiel consistait surtout à convaincre les parties Rick Estrin et Nick Moss en les faisant entrer dans notre enveloppe financière, mais on n’a pas passé des lustres à discuter les prix.

© : Radio France.

D’autres projets en vue ?
Pour faire simple, on voudrait entre Técou et Cahors faire une soirée tous les deux mois pour l’année qui vient, on est donc sur une base de trois concerts à Cahors et trois ou quatre à Técou, et ce indépendamment des festivals. Il est trop tôt pour en parler mais c’est déjà en cours de discussion. Et pour ma part, dans la salle de 100 m2 à Técou, j’ai l’ambition d’ici octobre de mettre en place des choses régulières, avec des formules en duo ou en trio. Ce serait comme un club, un peu comparable à la maison du Blues, d’autant qu’on peut avoir des musiciens en résidence avec nos seize couchages. À cela s’ajoute le studio d’enregistrement pour les prochains disques, qui devrait également être opérationnel en octobre.

(1). Jean-Luc Suarez fut le fondateur et directeur général des Résidences Héraclide, des logements en location surveillée pour personnes âgées qui n’ont pas nécessairement les moyens de résider dans des hébergements plus coûteux, notamment de type EHPAD.

Texte : © Daniel Léon / Culture Blues

© : Cahors Blues Festival.