
Jusqu’au début de la prochaine édition du festival Terre de Blues, qui se déroulera du 6 au 9 juin 2025 sur l’île de Marie-Galante, je publie des portraits des artistes et groupes au programme. La soirée du 7 juin sur la grande scène de l’habitation Murât sera particulièrement dense avec le bluesman américain Jontavious Willis en ouverture, suivi de l’artiste martiniquais de reggae et de dancehall Saël. Et le reggae restera à l’honneur pour le troisième concert avec un des personnages les plus emblématiques du genre, Burning Spear, sur lequel je m’arrête aujourd’hui. Avec une carrière démarrée en 1969 qui s’étend sur quelque six décennies, Burning Spear est un des derniers représentants en activité du reggae originel ou roots reggae, à la fois traditionnel, engagé et spirituel, et bien sûr l’un des plus influents.

Winston Rodney voit le jour le 1er mars 1945 à Saint Ann’s Bay, qui vit également naître Bob Marley et le militant Marcus Garvey, initiateur dans les années 1920 du mouvement rastafari, lequel trouvera écho à travers le reggae. En effet, dans les années 1970, par leur musique, Marley et Burning Spear s’inscriront parmi les principaux passeurs du rastafarisme. Saint Ann’s Bay se trouve au nord de la Jamaïque, sur le site qui vit Christophe Colomb toucher terre sur la grande île en 1494. Rodney a toujours préservé sa vie privée et nous manquons d’éléments biographiques sur ses premières années. Il grandit et va à l’école dans une région côtière, rurale et vallonnée, connue pour ses collines, un contexte qui l’influencera, et dont il dira en 1980 dans Slash Magazine : « Quand on revient dans ces collines, tout semble plus pur et plus juste. » Selon Jason Gross dans une interview publiée en septembre 1997 par Perfect Sound Forever, il écoute d’abord les différents styles de la musique jamaïcaine : « J’écoutais aussi bien du reggae que du ska et du rocksteady, des gens comme Delroy Wilson, Justin Hinds and The Dominoes, The Tamlins. »

Mais dans les années 1960, Rodney écoute aussi des Américains connus pour leur engagement en faveur des droits des Noirs, à commencer par Curtis Mayfield et James Brown, et s’inspire bien sûr de Marcus Garvey (Gross) : « J’écoutais d’autres personnes dans le milieu de la musique, ce qu’elles disaient et à qui elles le disaient. Je n’entendais rien sur Garvey, Martin Luther King, Malcolm X ou sur ces grands Noirs qui faisaient des choses constructives. Il n’y avait rien à leur sujet dans la musique. C’est vraiment ce qui m’a poussé à me lancer avec Marcus Garvey, créer des paroles et des compositions pour le présenter à travers la musique. » Avec le chanteur-bassiste Rupert Willington, il forme un premier duo qu’il choisit d’appeler Burning Spear, un nom qui restera et que l’on peut traduire par « lance ardente ». Rodney l’a emprunté à Jomo Kenyatta, anticolonialiste et président de 1964 à 1978 du Kenya après avoir été le principal artisan de l’indépendance de son pays. En langue kikuyu, Jomo signifie burning spear, et Rodney s’en est inspiré (Gross) : « Ce nom vient du Kenya, de Jomo Kenyatta, on l’appelait ainsi, Burning Spear. Il fut le premier président de la République. Avant même d’avoir interprété ma première chanson, je cherchais un nom. Je me souviens d’une personne âgée qui m’avait parlé de Jomo, mais honnêtement, je ne savais alors rien de lui. Cette personne pensait que pour le genre de mélodies et de chansons que je proposais, ce serait approprié. C’est arrivé comme ça, Burning Spear. »

En 1969, la rencontre avec Bob Marley marque évidemment un tournant, et Burning Spear la relate sur son site Internet officiel : « Tout a commencé alors que je me trouvais dans les collines au-dessus de Saint Ann’s Bay, où j’ai croisé Bob. Il allait à sa ferme, se déplaçait avec un âne, des seaux, une fourche, un coutelas et des plantes. Nous avons échangé tous les deux et je lui ai dit que je voulais m’impliquer dans le monde musical, et il m’a dit d’essayer Studio One. » Studio One est un label géré par le producteur Coxsone Dodd, pour lequel Burning Spear inaugure la même année sa discographie avec la chanson Door peeper sur un single qu’il partage avec Brentford All Stars. Outre Rodney et Willington, la formation comprend le saxophoniste Cedric Brooks. D’autres singles suivent pour Dodd, mais aussi deux albums en 1972 et 1974, « Studio One Presents Burning Spear » et « Rocking Time ».

La vague du reggae qui prend de l’importance permet à Burning Spear de signer en 1975 pour un label important, Island, avec lequel il réalise quatre albums, dont les deux premiers, sortis la même année, révèlent son attachement à Marcus Garvey car ils s’intitulent « Marcus Garvey » et « Garvey’s Ghost ». En 1980, il fonde à la fois la société Burning Music Production Company et le label qui porte son nom, avec un premier album, « Hail H.I.M. », enregistré au fameux studio Tuff Gong de Bob Marley. Avec ses textes revendicateurs, sa voix pénétrante, son répertoire racinien et ses arrangements impeccables, Burning Spear fait désormais partie des chefs de file d’un reggae alors à son apogée. Il est nommé une première fois aux Grammy Awards en 1985 pour « Resistance » (Heartbeat Records) et continue de sortir des albums à un rythme soutenu. Au total, on en compte aujourd’hui près de quarante, le dernier étant « No Destroyer » en 2023 chez Burning Spear Music. Nommé douze fois aux Grammys, il a obtenu deux fois la récompense « suprême », pour « Calling Rastafari » (1999, Heartbeat Records) et « Jah Is Real » (2008, Burning Music), à chaque fois dans la catégorie du meilleur disque de reggae.

Ne nous y trompons pas, c’est bien un monstre sacré de sa musique qui se présentera le 7 juin prochain à Terre de Blues. Je vous propose maintenant huit chansons en écoute.
– Door peeper en 1969. Sa toute première chanson…
– Down by the riverside en 1972.
– I and I survive (Slavery days) en 1975.
– Queen of the mountain 1985.
– Happy day en 1988.
– Calling Rastafari en 1999.
– People in high places en 2009.
– Obsession en 2023.
