
Quand je choisis d’évoquer ici un festival qui se passe aux États-Unis, il doit remplir plusieurs critères : avoir lieu à une échéance assez éloignée pour permettre aux personnes résidant en France de s’organiser, proposer un plateau de qualité et/ou mettre en avant la diversité des traditions musicales populaires américaines, avoir un intérêt historique… Force est de constater que le National Folk Festival, répond à toutes ces conditions. Tout d’abord, la prochaine édition se déroulera à Jackson, Mississippi, du 7 au 9 novembre 2025, autrement dit dans six mois, ce qui laisse le temps de voir venir. Concernant la qualité et la variété, nous verrons plus bas avec le plateau que c’est bien le cas. Enfin sur le plan historique, le National Folk Festival, aussi simplement appelé National, est une véritable institution (il mériterait de figurer dans ma rubrique « Mémoire de blues, et ce sera le cas dans un futur article spécifique) car sa première édition date de 1934, ce qui en fait bien sûr l’événement le plus ancien du genre. Il s’agit d’un festival itinérant mais plusieurs éditions peuvent se succéder dans la même ville, et Jackson l’accueillera d’ailleurs aussi en 2026 et 2027.

Sa fondatrice en 1934 est Sarah Gertrude Knott (1895-1984), folkloriste déjà à l’origine l’année précédente de la National Folk Festival Association et donc organisatrice de festivals folk. Selon un article paru le 3 avril 1936 dans le Chicago Defender, elle intervient pour que soient présentes différentes formes d’expression de la musique folk lors de l’exposition du centenaire du Texas à Dallas, prévue en juin : « Nous n’accueillerons pas seulement des spirituals mais aussi des chansons de cueilleurs de coton, de ceux qui travaillent dans les rizières, des chants de travail sur le dur labeur des chantiers comme les voies ferrées, des jeux festifs, des danses, des choses relatives aux légendes et aux superstitions. » Avant cela, Mlle Knott avait mené des recherches et collecté sur le terrain des informations auprès de musiciens de country et de folk. En tant qu’organisatrice de festivals dès les années 1930, elle fut bien une pionnière quelque trente ans avant le « folk boom » des sixties.

Lors de la première édition de 1934 à Saint-Louis, Missouri, selon le site Internet du festival, figuraient au programme Horton Barker, Captain Richard Maitland, Texas Gladden, Hobart Smith, The Red Headed Fiddlers, Captain Pearl Nye et Bill Henseley, tous aujourd’hui oubliés alors qu’ils font partie des fondateurs des courants folk et country. Il faut y ajouter l’accordéoniste cadien Lawrence Walker qui enregistra dès octobre 1929 au sein des Walker Brothers, soit l’année suivant les premiers enregistrements de musique cadienne par Joe Falcon et Cléoma Breaux. Plusieurs de ces artistes avaient précédemment fait l’objet d’enregistrements de terrain (field recordings) par John Lomax ou encore par Zora Neale Hurston en Floride. En 1934, cette dernière était invitée avec d’autres spécialistes à présenter ses travaux : « [Elle] a amené au National du blues et des chanteurs noirs de musique vernaculaire, marquant la première apparition de ces formes d’art dans un festival folk. C’était le premier événement de stature nationale à proposer du blues, de la musique cadienne, un groupe de polka, du conjunto tex-mex, un ensemble de musique chorale sacrée, de l’opéra de Pékin (1), liste non exhaustive. »

L’édition 1938 à Washington fut hautement symbolique. Eleanor Roosevelt, épouse de Franklin Delano Roosevelt et donc première dame, était présidente honoraire. W.C. Handy, à l’affiche en tant que « Father of the Blues », se produisit pour la première fois dans un contexte déségrégué, soit avec des artistes noirs et blancs au même programme. C’était alors rarissime sur les scènes prestigieuses, et surtout avant les concerts « From Spirituals to Swing » au Carnegie Hall en décembre 1938, considérés comme le véritable point de départ des concerts mixtes. Quant au National, il continuera chaque année de proposer des artistes noirs et blancs. Pour revenir à l’édition 2025, plus de quatre-vingts ans après sa naissance, le festival n’a pas changé d’état d’esprit ni d’objectif. Comme l’explique Scott Barretta (merci pour l’info !), il aborde le terme « folk dans un sens très large, ce qui inclut un éventail important de musiques qualifiées de folk aux États-Unis (blues, gospel, bluegrass, old-time country, tex-mex et Porto-Rico), mais s’étend aussi aux courants plus modernes (…). »

Pour cette édition 2025 (une soirée de lancement a eu lieu le 16 novembre 2024), le festival vient d’annoncer huit noms sur lesquels je reviens dès aujourd’hui, une fois encore pour vous laisser le temps de vous préparer. Mais au final, ce sont 30 groupes et 300 participants qui se produiront sur 6 scènes durant 3 jours à Jackson ! En attendant les autres, notamment les artistes du Mississippi, voici donc ces huit noms…
– John Primer & The Real Deal Blues Band (Chicago Blues).
– Campbell Brothers (Sacred Steel).
– Dale Ann Bradley (bluegrass).
– E.U. featuring EU Sugar Bear (go-go / funk).
– Eileen Ivers (musique irlandaise).
– Los Ricos avec Sonia Olla & Ismael Fernandez (flamenco).
– Plena Libre (bomba and plena, percussions portoricaines).
– Riyaaz Qawwali (qawwali, musique traditionnelle d’Asie du Sud-Est).
(1) L’opéra de Pékin est un spectacle du folklore chinois qui associe musique, danse, acrobatie, théâtre…
