
La rubrique « Tour » du site officiel du chanteur-guitariste annonce plusieurs dates de concerts à venir en ce mois de mai et même après. Mais depuis deux ans, après des alertes de santé relatifs à des problèmes cardiaques accompagnées d’annulations de tournées, on redoutait la mauvaise nouvelle. Elle vient donc de tomber, brutale malgré tout. Joe Louis Walker est parti le 30 avril 2025 à l’âge de soixante-quinze ans, pour les motifs cités ci-dessus. Difficile de ne pas être sous le choc. Le Californien est un artisan essentiel du blues contemporain. Durant près de vingt ans, depuis son premier disque en 1986 jusqu’au début des années 2000, il a sorti une quinzaine d’albums d’un incroyable haut niveau, caractérisés par une audace et une originalité sans comparaison sur la période. Chanteur habité à la voix soulful, guitariste d’une virtuosité décoiffante, en particulier à la slide, mais également parolier avisé, il a remis le blues au goût du temps, en l’agrémentant de soul, de gospel, de R&B, de rock, de jazz, de sonorités latino, avec style et sans jamais en trahir ni l’esprit ni l’essence. Rares sont les bluesmen qui « dominèrent » ainsi la scène sur une aussi longue période tout étant novateurs (me viennent à l’esprit, pour les années 1990, Robert Cray, Larry Garner et Taj Mahal). Même si, ensuite, Joe est un peu rentré dans le rang. Mais la qualité de son œuvre et son empreinte resteront.

Je n’oublierai jamais ma première interview de Joe Louis Walker, survenue dans des circonstances singulières lors de la Nuit du Blues de Grenoble en décembre 1989. L’ami Denis Claraz, avec qui j’animais alors l’émission Bluesy pour Radio Kaléidoscope, avait vu Joe précédemment et ne tarissait pas d’éloges à son propos. Effectivement, la prestation du bluesman fut exceptionnelle, il dégageait un magnétisme unique. Nous avions rendez-vous dans les loges après le concert. Au Summum, la grande salle grenobloise qui accueillait la Nuit du Blues, le catering et les loges se trouvent à l’étage. La loge de Joe était occupée par ses musiciens et il souhaitait que l’on s’isole. Direction le catering, où la place ne manquait pas, mais le bruit du concert en cours couvrait les conversations… Joe nous a alors entraînés vers les toilettes, a priori mieux « insonorisées », avant d’entrer dans une cabine et de prendre place sur le « trône » en nous invitant à œuvrer ainsi. Ce que nous avons fait, assis à même le sol et serrés l’un contre l’autre dans un espace que vous imaginez exigu… À ce jour, je n’ai jamais refait d’interview dans un WC. Avec Joe, il y aura d’autres interviews et surtout d’autres concerts un peu partout, à Voiron, Cognac, Vienne, Paris, Vaulx-en-Velin, Écaussinnes… Frédéric Adrian a publié aujourd’hui sur le site de Soul Bag un hommage à Joe Louis Walker, je vous propose un article qui n’est pas une redite mais un complément, en m’arrêtant sur sa jeunesse qui n’est pas souvent traitée, avec d’autres photos et surtout beaucoup de « son » sous la forme de vidéos de concerts.

Louis Joseph Walker Jr. naît le 25 décembre 1949 à San Francisco, Californie. Il est le benjamin d’une fratrie de cinq enfants. Sa sœur l’appelle Joe Louis car elle admire le boxeur du même nom, champion du monde des poids lourds de 1937 à 1949, un record qui tient toujours… Ses deux grand-mères chantent du gospel et son père, qui joue du piano, est originaire de Cleveland, au cœur du Delta. Dès l’enfance, il entend donc des bluesmen du Mississippi mais aussi des pianistes de boogie-woogie. Dans une interview de Marty Gunther publiée par Blues Blast Magazine, il dit adorer le boogie-woogie qu’il compare au zydeco : « Mon père me jouait tout le temps des titres de pianistes dans ce genre, et pour une raison ou une autre, ça m’attirait. Pour moi, le boogie-woogie, c’est comme le zydeco. Quand on a un pouls et un cœur, si quelqu’un met du zydeco, on finit par se lever et commencer à bouger. Pareil si c’est du boogie-woogie, on se met à taper du pied. C’est juste contagieux. » Walker jouera d’ailleurs un peu de piano mais il s’essaie d’abord au… violon, à l’accordéon et à la clarinette !

Mais, à l’âge de huit ans, quand ses parents se séparent (temporairement), il s’installe avec sa mère et ses quatre frères et sœurs dans le quartier de Fillmore, où il se met à la guitare. Il est ensuite scolarisé non loin de la fameuse salle du Fillmore Auditorium (ou Fillmore West), et sa mère l’inscrit à des cours de musique à partir de ses quatorze ans. Walker se trouve vite au contact de la scène musicale locale en pleine effervescence : « J’ai vu James Brown au moment de [Papa’s got] A brand new bag, les Temptations avec Eddie Kendricks et David Ruffin, Little Richard avec Jimi Hendrix à la guitare en 1964. » À l’époque, San Francisco est également au départ du mouvement hippie et du rock psychédélique. Mais sa première rencontre marquante survient en 1965, quand il joue et échange avec Fred McDowell, comme il le rapportait le 6 août 2023 à Premier Guitar : « J’ai accompagné bien des bluesmen traditionnels plus âgés. J’avais un faible pour Mississippi Fred McDowell. Il a pris une minute avec moi quand j’avais seize ans et m’a laissé jouer avec lui au Matrix. C’était un gentleman de la campagne, il m’a dit des choses sur les gens en général, de m’entourer de bonnes personnes. » Il précisait aussi à Don Wilcock pour American Blues Scene le 25 février 2014 : « Quand j’étais jeune, j’aimais Fred McDowell et je m’entendais avec lui car il venait de l’église. On pouvait s’asseoir et parler de choses dans ce registre, ce qu’il ne pouvait faire avec tous les jeunes de banlieue. Donc il me parlait de ça, et j’ai aussi réalisé que Fred n’était pas aussi torturé qu’un Son House à ce sujet, par exemple. » Nous savons aujourd’hui combien le jeu de guitare de McDowell a inspiré celui de Joe à la slide, devenu un maître absolu du genre.

Walker quitte sa famille au même moment, fait divers petits boulots dans des restaurants et comme conducteur de chariot élévateur, tout en s’efforçant de se faire une place dans le milieu musical, et Fillmore Slim, alors proxénète notoire, le prend un temps sous son aile, ce qui lui permet de jouer avec des bluesmen comme Earl Hooker et Magic Sam. Il forme un duo avec le pianiste Johnny Cramer et côtoie des membres des groupes de blues rock et de rock comme Canned Heat, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Santana… Et logiquement, il fait une autre rencontre importante un peu plus tard, quand il se lie d’amitié avec Mike Bloomfield en 1968, qui avait quitté le Paul Butterfield Blues Band l’année précédente pour fonder Electric Flag. Les deux hommes resteront très proches jusqu’à la mort de Bloomfield en 1981, qui lui aussi exercera une énorme influence sur son jeu de guitare virtuose. Grâce à Bloomfield, Walker se rend à Chicago et parvient à accompagner Otis Rush et Charlie Musselwhite, ce qui le plonge véritablement dans le monde du blues.

Joe Louis Walker apparaît pour la première fois sur disque en 1972, à la guitare lead sur la chanson Nurse your nerves, en face B d’un single (Lady in red en face A) du groupe Chain Reaction sorti chez Fish. Puis, soucieux de s’écarter d’un milieu gangréné par l’alcool et la drogue auxquels il a touché, il change radicalement de direction trois ans plus tard. Il reprend des études à l’université d’État de San Francisco, où il va décrocher des diplômes en anglais et en musique. Parallèlement, il devient membre d’un groupe de gospel, The Spirituals Corinthians (qui sortent en 1981 ou 1985 un obscur album autoproduit, « God Will Provide »), avec lesquels il reste pendant dix ans, jusqu’en 1985. Durant cette phase, il perfectionne sa magnifique voix caractéristique pleine de ferveur, qui emprunte à la fois au blues, au gospel et à la soul. Cette même année, après une prestation remarquée au Jazz Fest à La Nouvelle-Orléans, il décide de revenir au blues.

Et les choses vont vite. En 1986, il a donc trente-sept ans et beaucoup d’expérience, il forme un nouveau groupe, The Boss Talkers, et signe chez HighTone qui sort son premier album, « Cold Is the Night ». Produit par Bruce Bromberg, le disque obtient trois nominations au Blues Music Awards et remporte celui de la meilleure chanson pour Cold is the night ! Un succès foudroyant pour Walker dont l’entrée est fracassante sur un marché du blues qui se cherche alors un leader. Ce n’est que le début d’une longue série impressionnante. Jusqu’en 2002, outre « Cold Is the Night », Joe Louis Walker va se constituer une discographie sans égale pour l’époque et sortir quatorze albums remarquables qui méritent tous d’être cités : « The Gift » (HighTone, 1987), « Blue Soul » (HighTone, 1989), « Live at Slim’s, Volume 1 et Volume 2 » (HighTone, 1990), « Blues Survivor » (Verve, 1992), « JLW » (1994), « Blues of the Month Club » (Verve, 1995), « Great Guitars » (Verve, 1996), « Preacher and the President » (Verve, 1998), « Silvertone Blues » (Verve, 1999), « Guitar Brothers » (JSP, 2001), « Pasa Tiempo » (Evidence, 2002), « In the Morning » (Telarc, 2002) et « She’s My Moneymaker – The Slide Guitar Album » (JSP, 2002). Un ensemble unique qui démontre toute la diversité mais aussi la force d’âme de la musique de ce bluesman exemplaire.

Suite à cela, Joe Louis Walker perdra en créativité et en finesse, et si nombre de ses disques restent honorables, il va de plus en plus s’orienter vers le blues rock, voire le rock. Au moins deux albums sont toutefois d’un niveau comparable à ceux des années 1990 : le dépouillé « Journeys to the Heart of the Blues » (Alligator, 2018), en trio avec le pianiste Bruce Katz et l’harmoniciste Giles Robson, et son tout dernier, « Weight of the World » (Forty Below, 2023). Très respecté et demandé, on ne compte pas ses collaborations avec d’autres artistes. Et sur scène, l’artiste conservait son charisme et ses concerts réservaient généralement de beaux moments d’émotion. Enfin, le 21 mars 2025, Walker a sorti une nouvelle version de son premier album, intitulée « Cold Is the Night Reimagined », avec de nouveaux arrangements et la participation d’artistes actuels. Mais l’année 2023 fut aussi celle qui vit sa santé sérieusement décliner, avec la triste issue que l’on sait. Gardons-nous bien de sous-estimer l’œuvre de Joe Louis Walker. Car, implacable et incomparable, elle est là pour l’éternité.
– Concert en 1991.
– Concert au New Morning le 26 novembre 1995.
– Concert à Jazz à Vienne en 1999 avec Matt « Guitar » Murphy et Billy Branch.
– Concert au Tremblant Blues Festival en juillet 2009.
– Concert au Crescent City Blues & BBQ Festival en 2015.
– Transilvania Blues Nights en 2018.
– Concert à Sellersville le 1er mars 2025.
