
Les Rolling Stones, et tout particulièrement Mick Jagger et Keith Richards, n’ont jamais caché leur profond intérêt pour le blues. En novembre 1981, dans le cadre d’une tournée américaine, les Stones passent par Chicago, où ils doivent notamment donner trois concerts au Rosemont Horizon (aujourd’hui Allstate Arena), une grande salle de 22 000 places en banlieue nord-ouest de la Windy City. Une de leurs idoles est Muddy Waters, dont la chanson Rollin’ stone enregistrée en février 1950 est à l’origine de leur nom. Selon un article de Time Out daté du 16 juillet 2012, une semaine avant leur arrivée, le manager des Stones a rencontré L.C. Thurman, un des propriétaires avec Buddy Guy du Checkerboard Lounge, un club du South Side de Chicago situé au 423 East 43rd Street, en lui disant que les Stones souhaitaient se produire sur scène avec Muddy Waters.

Ceci démontre que l’événement ne relevait pas totalement du hasard, contrairement à ce que certaines sources persistent à affirmer. Mais il fut bien mis sur pied dans la précipitation et largement improvisé, d’autant que les Stones, soucieux de trouver une ambiance de type juke joint, souhaitaient qu’il n’y ait pas plus de 75 spectateurs. Martin Salzman, alors manager de Buddy Guy et Junior Wells, fut sollicité seulement la veille, à sa grande surprise comme il l’explique dans Time Out : « Le staff des Stones m’a appelé un jour avant le concert pour me demander si Buddy pourrait jouer. Sur le plan musical, les conditions n’étaient pas idéales. La scène était trop petite et la sono du Checkerboard pas terrible. » Quant à John Primer, alors guitariste de Muddy, il a appris la nouvelle au tout dernier moment : « Avec les autres membres du groupe, nous ne savions rien avant d’arriver au club. Quand je me suis pointé, Rick Kreher, l’autre guitariste [de Muddy] m’a dit : « Muddy va faire venir les Rolling Stones. » J’ai dit : « Tu te fous de moi, mec ? » »

Mais l’improbable concert aura donc bien lieu ce 22 novembre 1981. Rien ne l’annonçait, et sur la façade du club, seul le nom de Muddy Waters apparaissait. Il y aura toutefois des fuites et plusieurs milliers de personnes s’amassèrent à l’extérieur du Checkerboard. La police de Chicago avait bloqué East 43rd Street entre Vincennes Avenue et King Drive, mais comme le dira Thurman, « on ne laissait pas entrer les flics dans le club car les Stones avaient acheté pour chaque table un sachet de joints de cannabis ». On note dès lors avec amusement que la dernière chanson interprétée ce soir-là était une composition de Muddy Waters, Champagne and reefer (du champagne et un joint !)… Outre Muddy et son groupe, les quatre membres des Stones présents étaient Mick Jagger, Keith Richards, Ronnie Wood et Ian Stewart, auxquels s’ajoutaient en invités Buddy Guy, Junior Wells et Lefty Dizz. Des versions pirates circuleront après l’enregistrement, mais il faudra attendre 2012 pour une sortie officielle chez Eagle/Universal, en CD (11 titres) et DVD (15 titres), sous le titre « Live at the Checkerboard Lounge, Chicago 1981 ». Artistiquement, cela relève plutôt de la jam session débridée, mais l’album est aujourd’hui culte… Quant au Checkerboard Lounge, il déménagera sur South Harper Court en 2003, avant de fermer en 2015.

