Festival BAR 2025, interview de Dominique Bouillon

Sugaray Rayford et Larry Garner sur la scène du festival en 2017. © : alain-hiot.com

La dixième édition du festival BAR (Blues d’automne en Rabelaisie), qui sera hélas aussi la dernière, se déroulera se déroulera le week-end prochain, du 3 au 5 octobre 2025, à Beaumont-en-Véron dans l’Indre-et-Loire. À cette occasion, je vous propose une interview de son président, Dominique Bouillon. Proche de Chinon, entre la Loire et la Vienne, dans la région natale de François Rabelais, Beaumont-en-Véron se distingue par la présence sur son territoire de six châteaux. Avant de laisser la parole à Dominique, je vous rappelle le programme de cette édition, avec un plateau international composé d’artistes/groupes français et européens.

© : Festival BAR.

Vendredi 3 octobre
– Scène extérieure. Dave Arcari (Écosse).
– Scène intérieure. The Sidewalk Bandits (France) et Lowland Brothers (France)
Samedi 4 octobre
– Scène extérieure. Rock the Cavern (France, spectacle pour enfants), Miguel M (France) et Shaking Mates (France).
– Scène intérieure. Tio Manuel (France), Francesco Piu Groovy Brotherhood (Italie) et Malted Milk (France).
Dimanche 5 octobre (La Fête à Bob, 85 ans cette année !)
– Scène extérieure. Philippe Ménard (France).
– Scène intérieure. Ganafoul (France) et Little Bob Blues Bastards (France) + invités.

Sugaray Rayford et Dominique Bouillon. © : alain-hiot.com

INTERVIEW DE DOMINIQUE BOUILLON

Comment est né le festival BAR (Blues d’automne en Rabelaisie), dont la première édition date de 2015 ?
Je suis un boomer comme disent les jeunes aujourd’hui. J’ai découvert le blues assez tardivement. Mais quand je travaillais en déplacement j’ai eu l’occasion de fréquenter des disquaires très bien pourvus et je me suis passionné pour le blues. En outre, j’ai acheté une maison dans les années 1990 pour installer mon entreprise, et il y avait un grand hangar, dans lequel je savais que je ferai un jour ou l’autre un bar blues. On a commencé un peu par hasard il y a quinze ans, d’abord en organisant des concerts pour des anniversaires, et de fil en aiguille on a continué. Mais à un moment donné, le maire nous a demandé de régulariser, car des concerts chez l’habitant avec 200 personnes c’était un peu gros [rires]. On a donc créé une association et mis le bâtiment en conformité, et aujourd’hui on n’est pas loin de 180 concerts, on en fait une quinzaine par an. Et puis, il y a une dizaine d’années [en 2014], on a fait une grosse soirée qui s’appelait Crossing Roads, avec Neil Black, Jesus Volt et Royal Southern Brotherhood avec le gigantesque Cyril Neville. On s’est alors rendu compte qu’on avait les moyens humains et logistiques, et que ce serait mieux de franchir le pas et de faire un festival. Donc on a démarré l’aventure de Blues d’automne en Rabelaisie, qui se déroulait initialement le premier week-end d’octobre.

© : Le Temps des Crises.

Et vous-même, comment êtes-vous venu au blues, vous écoutiez quel genre de musique au départ ?
J’écoutais de tout, du rock, beaucoup de chanson française, et je suis un fan de flamenco. J’aime un peu tout ce qui est musique vivante et surtout pas savante. Dès que les gens commencent à trop réfléchir, ça m’ennuie fortement, donc je me suis bien retrouvé dans le blues. J’ai commencé en écoutant évidemment des gens comme Buddy Guy, même d’autres plus vieux, mais aussi les Doors, ces groupes qui biberonnaient au blues, Led Zep, les Stones… Je me suis ensuite vraiment de plus en plus intéressé à tout ça et surtout au blues, même si je continue d’écouter de tout. Et quand on a commencé l’histoire de cette salle, qui s’appelle le Temps des Crises, on a tenu à rester sur cette couleur musicale, on ne voulait pas se disperser dans notre fonctionnement. J’aime toujours autant d’autres styles de musique, mais on voulait rester sur ce truc-là pour fidéliser des gens, pour créer une espèce de collectif, car on a quand même entre 600 et 700 adhérents chaque année au niveau de la salle.

Quel est votre rôle dans le festival aujourd’hui, la direction artistique ?
Je m’occupais déjà de la programmation auparavant, puis ces deux dernières années j’ai pris la direction du festival, mais elle reste quand même très collégiale.

Les bénévoles en 2017 avec Larry Garner (deuxième en partant de la gauche). © : alain-hiot.com

Et justement, comment choisissez-vous les musiciens ? Comment trouvez-vous cet équilibre entre musiciens français et internationaux ?
Le choix est toujours ouvert, car les artistes qui veulent se produire ne manquent pas, on a beaucoup de propositions mais on laisse des gens insatisfaits car on ne peut pas accepter tout le monde. Après, notre choix se fait malheureusement surtout sur des critères économiques, c’est-à-dire qu’il faut trouver des gens qui puissent assumer un statut de tête d’affiche et qui dans le même temps n’aient pas des ambitions ou des demandes financières trop élevées. On a un petit budget, et depuis la Covid, il a été quasiment divisé par deux, on se bagarre avec des queues de cerises. En fait, on se finance mal, car au niveau des collectivités locales, les mairies et communautés font les efforts qu’elles peuvent avec des budgets qui se réduisent comme une peau de chagrin. En revanche, on n’est vraiment pas du tout contents de ce qu’on peut obtenir du département, qui certes aide un peu, mais surtout de la région, qui ne donne rien du tout. Ça nous fait mal, car on a entre 12 et 18% de notre budget par les subventions, ce n’est quand même pas terrible. Pour le reste, heureusement que tous les ans, on génère un petit bénéfice au niveau de la salle, on avait un petit bas de laine mais on l’a vidé quand on a eu des mauvaises années. On avait des réserves mais on a autofinancé nos déficits avec les quelques bénéfices qu’on a faits.

© : Festival BAR.

Je pose souvent cette question tout en sachant que ce n’est pas une garantie de qualité : il n’y a pas d’Afro-Américain cette année, alors qu’en 2017 par exemple, il y avait Larry Garner et Sugaray Ford. C’est un choix délibéré par rapport au risque financier ?
Le côté financier joue bien évidemment un rôle mais c’est aussi le hasard, on souhaitait également retrouver des gens que nous aimions beaucoup, avec lesquels on a déjà eu une histoire un peu longue. Il est vrai que l’on aurait pu faire revenir Sugaray, ne serait-ce que pour rendre hommage à Gino Matteo, son guitariste décédé il y a quelques mois. Mais ce n’était pas évident financièrement pour lui. On souhaitait inviter d’autres personnes comme les Imperial Crowns, mais ils ne pouvaient pas venir car ils ont mis le groupe un peu en sommeil. Et venir pour une seule date depuis la Californie, c’était compliqué. Ce n’est donc pas du tout un parti pris de notre part, et si on avait eu une bonne opportunité, on l’aurait fait. On n’invitera jamais certains Américains car ils sont surcotés, et à côté de cela il y a des artistes carrément fabuleux. En revanche, certains sont invités à l’année, par exemple Chris Bergson qu’on adore car c’est un type fantastique. On l’a invité trois ou quatre fois dans la salle, et il a dû venir une fois ou deux au festival. Mais on ne va pas l’inviter à chaque fois à chaque fois non plus ! [rires]. Il y a plein de gens qu’on adore, qui sont des artistes accessibles financièrement mais également formidables humainement.

© : alain-hiot.com

Quel est votre public ? Car début octobre, c’est un peu entre deux saisons. Vous avez encore des vacanciers tardifs, ou bien beaucoup de locaux ?
C’était un peu notre idée au départ, essayer de surfer un peu sur la fin de saison. En Touraine, on a quand même beaucoup de gens qui viennent visiter les châteaux en dehors de la grosse affluence des trois mois d’été. Donc on commence un peu à surfer là-dessus. Finalement, il y a assez peu de clientèle de passage, du moins des touristes. On a beaucoup de gens venus de fort loin, mais ce sont des amateurs de blues qui viennent comme sur chaque festival, parce que l’ambiance est bonne… Il y a toujours aussi le public local, mais assez peu de touristes. La période n’est plus trop favorable, c’est un peu tard. Et de toute façon, pour avoir vu quelques festivals par ici cet été, je n’ai pas l’impression que les touristes soient vraiment passionnés. La plupart viennent voir des cailloux, ils n’ont pas forcément pour objectif d’aller écouter de la musique.

J’ai lu une information qui m’inquiète, elle parle de dernière édition, c’est vraiment le cas ?
Et oui, même si on laisse toujours une porte ouverte, car si on fait une édition formidable et s’il se trouve deux ou trois personnes pour épauler l’équipe, il y aura toujours l’envie de continuer une telle histoire. Mais nous, en tout cas, l’équipe actuelle telle qu’elle est, on n’est plus un état de poursuivre, on est trop peu nombreux. On est cinq ou six à bosser vraiment sur le festival et je dois être un des plus jeunes de la bande [né en 1960]. On est un peu cramés, et surtout saoulés car on passe notre temps à chercher du fric. L’essentiel de l’activité consiste à chercher de l’argent, ce n’est pas passionnant.

© : Festival BAR.

Mais les concerts ponctuels vont continuer ?
Bien sûr, au niveau de la salle, on continuera de fonctionner. On s’était engagés en créant le festival à ne pas mettre la salle en péril. Cette salle, comme le dit notre président, c’est l’ADN de l’association. Pour le coup, on saisit des opportunités. Quand il y a des artistes, même des sacrées pointures qui sont en tournée, on y va car parfois sur les days off ils peuvent venir dans une petite salle. On avait attrapé Larry Garner de cette façon, qui est devenu un ami car c’est un type sensationnel. On a récupéré plein d’artistes comme ça, qui préfèrent venir jouer dans notre petite salle plutôt que rester deux jours à l’hôtel, même si les cachets ne sont pas monstrueux. Et ça se passe très bien, il y a des tourneurs avec lesquels on a beaucoup fonctionné comme ça, quand ils ne passent pas très loin, ça les arrange que les gars soient sur scène au lieu de s’enquiquiner à l’hôtel. Mais le festival, pour l’instant, c’est terminé, et d’ailleurs on est contents, l’histoire est sympa, ça fait dix ans que ça dure, on s’arrête sans avoir planté personne, sans laisser des dettes. Et je pense qu’on n’est fâchés avec personne, que l’on a tout fait bien comme il faut, et si quelqu’un veut reprendre, on continuera d’appuyer et d’apporter tout ce qu’on sait. Toute la logistique qu’on a mise en place existera encore, et si quelqu’un voulait venir nous épauler, la question se reposerait. Mais en l’état actuel des choses, c’est le dernier.

Et comment voyez-vous cette dernière édition ? On va faire une grosse fête, c’est sûr. On a rassemblé plein d’artistes qu’on adore, déjà rencontrés de nombreuses fois et avec lesquels on entretient des relations assez fortes. En plus, on finit avec Little Bob pour ses 85 ans. Et pas 80, c’est 5 de plus, il a triché sur son âge [rires]. C’est notre parrain, il fut le premier à jouer dans la salle en 2010…

Little Bob. © : alain-hiot.com

Recueilli le 11 septembre 2025. Texte : © Daniel Léon / Culture Blues.