
Retour de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. Aujourd’hui, arrêtons-nous sur fat mouth (aussi fatmouth), une expression pour une fois facile à traduire en français. En effet, la première traduction qui vient à l’esprit est logiquement « grande gueule », pour désigner une personne qui parle trop, haut et fort pour impressionner la galerie, et dont le discours ne se traduit généralement pas en actes. Sous cet angle, on retrouve l’expression dans les textes des bluesmen, mais ils l’utilisent aussi dans d’autres sens.

Mais les origines de fat mouth sont bien plus anciennes, et selon Debra Devi dans The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu, elles remontent à la fin du XVIIe siècle et nous conduisent surtout en Afrique de l’Ouest, d’où furent déportés la majorité des esclaves vers les Antilles et les Amériques. Dans une région alors appelée Sénégambie, qui correspond aujourd’hui au Sénégal, à la Gambie, à la Guinée-Bissau, et à des parties du Mali, de la Mauritanie et de la Guinée-Conakry, on parle des langues mandingues. Et en mandingue, il exise le terme da-ba, qui caractérise une personne au propos excessif dans le but d’attirer un(e) partenaire au lit en l’abreuvant de flatteries, et qui se traduit en anglais par fat mouth. On estime également que da-ba serait à l’origine de blabbermouth, qui désigne une pipelette… En tout cas, Tommy Johnson l’a chanté dès 1928 dans ce qui deviendra un classique du blues, Big fat ma(m)ma blues. D’autres bluesmen aborderont toutefois fat mouth différemment. Ainsi, par extension, fat mouth peut désigner une personne (souvent des hommes mais aussi des femmes), prête à tout pour s’attirer les bonnes grâces d’un(e) partenaire, quitte à se mettre littéralement sur la paille. Ce qui conduit à des désillusions et fait passer le fat mouth / fatmouth pour un abruti crédule…

Pour conclure, voici comme toujours des liens vers des chansons au contenu relatif à l’expression du jour.
– Fat mouth blues en 1926 par Papa Charlie Jackson.
– Got the blues en 1926 par Blind Lemon Jefferson.
– Big fat ma(m)ma blues en 1928 par Tommy Johnson.
– Fatmouth blues en 1930 par Dorothy Everetts.
– Fatmouth blues en 1932 par Ben Curry (Ben Covington).
– Fat mouth blues en 1936 par Bo Carter (Bo Chatman).
(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).
