Ça s’est passé un 4 septembre : massacre de Clinton, Mississippi

© : Brothers Rogers / The Historical Marker Database.

Dans un article du 26 octobre 2023, je m’arrêtais sur la plaque commémorative (marker) érigée par la Mississippi Blues Commission à Clinton, située une quinzaine de kilomètres à l’est de Jackson, dans lequel j’évoquais la scène musicale locale, et j’y reviendrai plus loin. Mais aujourd’hui, à propos de cette ville, il s’agit de commémorer un triste événement connu sous le nom de « Massacre de Clinton », survenu il y a 150 ans jour pour jour, le 4 septembre 1875. Nous sommes alors en pleine Reconstruction (1865-1877), cette période qui suivit la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. Parmi ses principaux objectifs figuraient la réintégration dans l’Union des États sudistes ou confédérés, l’égalité des droits constitutionnels pour les anciens esclaves, ou encore la restitution de terres aux Afro-Américains, ce que symbolisera la formule 40 acres and mule, comme je l’écrivais dans mon article du 27 mai 2013 : « Cela concerne 18 000 familles, et il est prévu de diviser les 1 600 km2 de terres disponibles en parcelles de 40 acres (16 hectares) et d’offrir une mule pour les cultiver. »

Aldebert Ames. © : Mathew Benjamin Brady / U.S. National Archives and Records Administration.

Mais à la Maison Blanche, le président Andrew Johnson se soucie peu des droits civiques des Afro-Américains d’autant que l’influence du Ku Klux Klan est alors très forte. Et même s’il perd de son importance à partir de 1871, le Klan est suppléé par des milices suprémacistes paramilitaires, dont la White League fondée trois ans plus tard. Les tensions sont évidemment fréquentes, surtout en période électorale. Début septembre 1875, la campagne des élections au Congrès bat son plein, y compris à Clinton. Bien que la bourgade compte à peine 500 âmes, elle accueille sur le site de Moss Hill un meeting des républicains (alors en faveur des Noirs) qui rassemble entre 1 500 et 2 000 personnes dont une petite centaine de Blancs, durant lequel doit notamment s’exprimer Aldebert Ames, alors gouverneur du Mississippi et fervent défenseur de l’égalité des droits pour les Afro-Américains. Dans un esprit d’ouverture, les républicains invitent un démocrate blanc, Amos Johnston, à prendre la parole à la tribune.

Eddie Cotton Jr. en 2017. © : Edwin Remsberg / Richmond Folk Festival.

Mais quand vient le tour d’un républicain, l’ancien capitaine de l’Union H.T. Fisher, ce dernier est pris à partie par un participant venu de la ville voisine de Raymond. Des affrontements éclatent, orchestrés par des membres des White Liners, milice armée du parti démocrate. En quelques minutes, on dénombre huit morts (cinq Noirs et trois Blancs) et une trentaine de blessés. La nouvelle de l’émeute se répand rapidement, et dans les jours qui suivent, les White Liners mènent dans la région une répression féroce qui se traduit par l’assassinat (souvent des lynchages) d’environ cinquante Afro-Américains et d’un partisan blanc des républicains. Malgré les appels du gouverneur Ames à une intervention fédérale, le président Ulysses S. Grant (pourtant républicain et vainqueur des sudistes lors de la guerre de Sécession !) se désintéresse de ces troubles récurrents propres au Sud. Une inaction qui ne sera pas sans conséquences : elle favorisera la « reprise en main » dans le sang du Mississippi par les démocrates et l’instauration de la ségrégation via les lois Jim Crow à partir de 1877…

Jarekus Singleton. © : Jesse Barnett Photography.

Il importe de ne jamais oublier de tels événements, surtout quand ils ont exercé une influence marquante dans l’histoire d’un pays. Mais je souhaite toutefois terminer cet article avec du blues, et plus particulièrement trois personnalités de la scène de Clinton.
– Andrew « Bobo » Thomas, dont on ne sait rien sinon qu’il serait né près de Clinton vers 1914. Ce chanteur-guitariste a enregistré une seule chanson, le 24 juillet 1951, une version de Catfish blues. Ce serait totalement anecdotique si elle ne figurait pas en face B de la première face d’Elmore James (alors appelé Elmo James), le très fameux Dust my broom ! Thomas a donc gravé Catfish blues, qui plus est accompagné de Sonny Boy Williamson II, mais le morceau, comme celui de la face A, est crédité à Elmo(re) James alors qu’il n’est pas présent !
– Né à Jackson en 1970, Eddie Cotton Jr. a grandi à Clinton où il a débuté en chantant à l’église. Je vous propose d’écouter un extrait du dernier album (« The Mirror », Malaco, 2024) de ce chanteur-guitariste, No crime no time.
– Jarekus Singleton a vu le jour en 1984 à Clinton, et cet autre chanteur-guitariste est une valeur sûre des bluesmen modernes de la génération actuelle. Écoutons-le en public en 2015 avec High minded.

© : Ulysses S. Grant Presidential Library.