Ralph Willis, mort un 11 juin

Ralph Willis. © : GtrWorkShp / YouTube.

Soixante-huit ans après sa mort survenue le 11 juin 1957, nous sommes sans doute peu nombreux à nous souvenir de Ralph Willis (on ne lui connaît aucune photo, celle qui figure en ouverture de cet article est une capture d’écran d’une vidéo YouTube…). Pourtant, ce chanteur-guitariste exemplaire de la Côte Est nous laisse une cinquantaine de titres gravés entre 1944 et 1953, ce qui est significatif à cette époque où le blues doit faire face à la « concurrence » du R&B. Malgré sa belle voix expressive, ses talents de compositeur et son jeu de guitare habile et plein de variété, une réelle influence dans le domaine du Piedmont Blues et quelques enregistrements avec d’autres bluesmen notoires de la région, en premier lieu Brownie McGhee, Willis ne connaîtra pratiquement aucun succès de son vivant. En outre, il a réalisé des disques sous différents pseudonymes et apparaît comme accompagnateur d’autres artistes, ce qui rend sa discographie peu « lisible ».

© : Stefan Wirz.

Par ailleurs, on ignore exactement où et quand est né Ralph Willis. Peut-être en octobre 1909 dans le comté de Wilkes au nord-ouest de la Caroline du Nord, mais d’autres sources affirment qu’il viendrait de la région de Birmingham, Alabama, où il aurait vu le jour en 1910, sans plus de précision. Sur certains de ses enregistrements, dont les premiers, il se fait appeler Ralph (Bama) Willis ou Alabama Slim, ce qui cautionnerait la seconde option. Mais comme on ne sait rien de ses premières années ni de sa famille, il a très bien pu naître en Caroline du Nord et grandir dans l’Alabama… Au début des années 1930, il semble bien vivre en Caroline du Nord, du côté de Winston-Salem, la grande ville du nord de l’État où la scène musicale est développée. De nombreux bluesmen se produisent dans les rues de la ville dont Buddy Moss, Sonny Terry et Brownie McGhee (qui sont toutefois plus jeunes que lui), et surtout Blind Boy Fuller, influence majeure de Willis.

© : Stefan Wirz.

D’ailleurs, à l’instar de bien d’autres bluesmen notables de la Côte Est, Willis prend la route du nord et s’installe à New York à la fin des années 1930. En 1944, sous le nom de Ralph (Bama) Willis, il signe pour le modeste label Regis son premier single, Comb your kitty cat/Worried blues, qui est très réussi et démontre que nous sommes face à un artiste très accompli. Alors âgé d’environ trente-cinq ans, Willis a de toute évidence de l’expérience. Deux ans plus tard, il tient probablement la seconde guitare derrière Brownie McGhee sur la chanson Brownie’s guitar boogie (avec aussi Sonny Terry à l’harmonica). Également en 1946, en tant que Ralph Willis Alabama Trio, pour 21th Century il réalise six nouvelles faces, cette fois avec McGhee comme accompagnateur à la guitare, et Judson Coleman au chant sur deux d’entre elles.

Washboard Pete Sanders et Ralph Willis, Philadelphie, Pennsylvanie, années 1950. Il s’agit encore d’une capture d’écran d’une vidéo YouTube visible à cette adresse. © : blues.in.colour

À partir de 1948 et jusqu’en 1953, Willis poursuit ses enregistrements sous différents noms (outre le sien, Alabama Slim, Washboard Pete et Sleepy Joe), dont une partie avec Brownie McGhee, ainsi que Sonny Terry en fin de période. Sur le plan artistique, sa production est du niveau de ses illustres pairs de l’époque, mais qu’ils sortent sur de petites marques (Signature, Abbey, Jubilee, Signal et Par) ou sur des labels plutôt bien distribués (Savoy, Prestige et King), ses disques se vendent mal. Seul Christmas blues, enregistré le 8 juin 1948 chez Savoy sous le pseudonyme de Washboard Pete (qui est en fait le nom du joueur de washboard qui l’accompagne !), lui vaut un petit succès. Il n’y a pas d’explication logique au phénomène, d’autant qu’il a su faire évoluer sa musique pour proposer un blues électrique plus moderne au fur et à mesure de ses enregistrements. Aurait-il dû emprunter les pas de McGhee et consorts qui se dédièrent plus au folk blues, ou aller plus loin et s’orienter davantage vers le R&B ? On ne le saura jamais. Ralph Willis est parti le 11 juin 1957 à quarante-sept ou quarante-huit ans, et les raisons de sa mort restent aujourd’hui inconnues. Bien que méconnue, son œuvre importante est heureusement rassemblée sur des anthologies Document (« Complete Recorded Works in Chronological Order – Volume 1 – 1944-1950/51 » et « Volume 2 – 1950/51-1953 ») et Jasmine (« Hop On Down The Line – The (Almost) Complete Recordings).

© : Discogs.

Voici donc dix chansons en écoute pour mieux faire connaissance avec un artiste talentueux qui ne mérite pas de rester plongé dans l’anonymat.
Comb your kitty cat en 1944 par Ralph Willis. Son tout premier enregistrement.
Worried blues en 1944 par Ralph Willis. Face B du même single.
So many days vers 1946 par Ralph Willis Alabama Trio (avec probablement Brownie McGhee à la seconde guitare).
Boar hog blues en 1948 par Alabama Slim (Ralph Willis).
Christmas blues en 1948 par Washboard Pete (Ralph Willis).
Amen blues en 1948 par Sleepy Joe (Ralph Willis).
Sportin’ life en 1949 par Ralph Willis (en duo avec Brownie McGhee).
Hoodoo man en 1951 par Ralph Willis (avec Brownie McGhee à la seconde guitare).
Old home blues en 1951 par Ralph Willis.
Door bell blues en 1953 par Ralph Willis (avec Brownie McGhee et Sonny Terry).

© : Jasmine Records.