
Jusqu’au début de la prochaine édition du festival Terre de Blues, qui se déroulera du 6 au 9 juin 2025 sur l’île de Marie-Galante, je publie des portraits des artistes et groupes au programme. L’échéance est désormais très proche, et je terminerai ce passage en revue mardi prochain avec le groupe Delgres, dont le « leader » Pascal Danaë est originaire de Marie-Galante par son père, et sa venue sur l’île s’assortira forcément d’une grande émotion. L’an dernier, Pascal avait répondu à mes questions, et mardi, je vous proposerai ici l’intégralité de cette interview inédite. Mais avant cela, place à Yuri Buenaventura, que nous pourrons voir le 8 juin sur la grande scène de l’habitation Murât. Le chanteur colombien de salsa est particulièrement attaché à la France où il a étudié et débuté en musique dans le métro parisien !

Yuri Bedoya est né le 19 mai 1967 à Buenaventura, une ville à l’ouest de la Colombie qui lui donnera son nom de scène. Quant à son prénom, choisi par son père, c’est un hommage au cosmonaute russe Youri Gagarine, premier homme dans l’espace en 1961… Le jeune Yuri grandit dans un milieu propice à l’expression artistique car son père, Don Manuel Bedoya, est professeur de musique et de théâtre. Les rythmes de la salsa new-yorkaise s’invitent rapidement dans son foyer. Car si la salsa est d’abord la musique des Cubains, aux côtés des Portoricains et des Dominicains, elle s’est développée au sein de ces communautés dans les années 1960 et surtout 1970 à New-York. Une musique de brassage qui emprunte aussi au jazz, comme Buenaventura l’expliquait à Élodie Suigo le 24 septembre 2024 dans son émission Le monde d’Élodie sur France Info : « L’Amérique latine a émigré aux États-Unis, mais ils ont rencontré là-bas les hommes noirs du jazz. Et cette musique s’est brassée. Cette musique caribéenne un peu tropicale s’est brassée avec ces sons urbains new-yorkais et les harmonies du jazz. Et la salsa, le jazz latino, c’est ce brassage. » Puisant ses origines en Afrique et dans l’esclavage, elle intègre aussi des ingrédients apportés par les Amérindiens, d’où sa grande richesse instrumentale qui comprend percussions, cuivres, claviers et sections rythmiques ébouriffantes, le tout sur des tempos enlevés. Une salsa qui va se répandre dans toute l’Amérique du Sud dont bien sûr la Colombie.

Mais la salsa, c’est aussi le chant, et dans le genre, Yuri Buenaventura va s’imposer parmi les plus convaincants. Même si les premiers méandres de son parcours ne laissaient rien présager de sa carrière à venir. En 1988, il vient en effet en France pour étudier l’économie à La Sorbonne à Paris, un choix évident pour lui selon cette interview menée par Sonia Aguilar pour le site WebToulousain : « La France rayonne dans le monde, avec son amour pour l’art, la culture. On a des liens très forts avec la France, avec les valeurs républicaines. Presque toutes les constitutions d’Amérique latine viennent des droits de l’homme, de la Constitution française. Cet attachement à votre pays vient des entrailles. C’est pour ça que j’ai choisi la France, j’y ai fait mes études de 1988 à 1991. » Paris est alors connue pour sa scène musicale latino effervescente, et Buenaventura s’y fait vite une place aux côtés d’autres artistes originaires d’Amérique du Sud et Centrale. Il se « construit » dans une des meilleures écoles possibles, le métro parisien, notamment à la station Saint-Michel où il chante et joue des percussions.

Dans la première moitié des années 1990, son talent lui permet de se produire dans les clubs au sein de formations alors en vue dont Grupo Caïman, Sabor et Mambomania, et il fréquente des artistes importants dont le chanteur, percussionniste et chef d’orchestre portoricain Tito Puente. Une étape décisive survient en juillet 1996 : un concert avec la formation vénézuélienne Orquesta Chaworo au festival Tempo Latino de Vic-Fezensac (Gers) marque les esprits et le convainc de se dédier corps et âme à la musique. Pour cela, il retourne en Colombie et enregistre de quoi faire un premier album « Herencia Africana » (héritage africain), en plusieurs fois car il manque de moyens pour l’éditer. Mais le disque comprend une superbe reprise de la chanson Ne me quitte pas de Jacques Brel, qui attire l’attention de Rémy Kolpa Kopoul, journaliste et animateur sur Radio Nova, grâce auquel Yuri trouve un label et peut sortir son album (Polygram en Colombie, Lemos Productions en France, 1996). Le succès suit sans attendre et avec « Herencia Africana », Yuri Buenaventura devient le premier chanteur de salsa récompensé d’un disque d’or !

En 2000, il sort « Yo Soy » chez Mercury, enregistré l’année précédente entre la Colombie, Porto-Rico et la France, et agrémenté de reprises variées dont Tu cancion (soit Your song d’Elton John !), Mala vida de Mano Negra et La chanson des jumelles de Michel Legrand, et d’un duo avec Faudel, Salsa raï… Parallèlement, il est également sollicité pour le cinéma et signe en 2000 la chanson-phare du film Salsa de Joyce Bunuel, puis l’année suivante la bande originale de Ma femme s’appelle Maurice de Jean-Marie Poiré. En 2003, son troisième album, « Vagabundo » (2003, Mercury), marque un retour aux sources de sa musique car enregistré à Porto-Rico avec des locaux renommés. Cinq albums suivront, « Salsa Dura » (2005, Mercury), « Cita Con La Luz » (2009, Mercury), « Paroles » (2015, Masterworks/Sony Music), « Manigua » (2018, Élite Entretenimiento) et « Amame » (2024, Vivienne).

Parmi ces albums, « Paroles » est un peu à part en soulignant son attachement à la France, car il se compose uniquement de reprises de classiques de la chanson française. Mais le répertoire de Buenaventura, s’il reste basé sur la salsa, est très étendu, avec une approche souvent romantique mais aussi des textes qui témoignent d’un fort engagement contre les injustices, en particulier contre le raciste car il sait mieux que personne d’où vient sa musique. Sur scène, cet artiste s’accompagne d’une formation étoffée qui compte une quinzaine de membres et propose un spectacle coloré et enfiévré, avec des arrangements et une interprétation à l’enthousiasme irrésistible.
Voici maintenant six chansons en écoute.
– Herencia Africana en 1996.
– Paloma taina en 2003.
– La vida no vale nada en 2010.
– Le sud en 2015.
– Por que ahora en 2012.
– Jazz à Vienne en 2024.
