
Jusqu’au début de la prochaine édition du festival Terre de Blues, qui se déroulera du 6 au 9 juin 2025 sur l’île de Marie-Galante, je publie des portraits des artistes et groupes au programme. La soirée du dimanche 8 juin sur la grande scène de l’habitation Murât, qui sera aussi la dernière pour cette édition avant les concerts du lundi à la gare maritime, proposera trois spectacles dont celui d’Elida Ameida, sur laquelle je m’arrête aujourd’hui. À trente-deux ans, la chanteuse cap-verdienne représente la jeune génération de la musique de son archipel. Elle pérennise d’autant mieux ces traditions locales que son registre s’appuie sur des styles comme le funana et le batuque, directement hérités de l’esclavage.

Elida Ameida naît le 15 février 1993 à Pedra Badejo à l’est de Santiago, la plus grande île du Cap-Vert, à une trentaine de kilomètres de Praia, la capitale de l’archipel. Dans cette région rurale, elle vit une enfance dans la pauvreté, dans une maison sans électricité, avec quasiment comme seul contact avec l’extérieur une petite radio à piles. Mais grâce à cette radio, elle se familiarise aussi avec la musique locale, comme elle l’expliquait en avril 2019 à Julie Henoch pour RTS Radio : « C’est avec la radio que j’ai connu nos traditions, que j’ai connu notre identité, le funana, le batuque, la tabanka. C’est à travers la radio que je sais qui je suis. » Elle chante aussi à l’église et se forge déjà cette voix que l’on retrouve aujourd’hui, fervente, expressive et agrémentée de ce grain qui n’est pas sans rappeler les chanteuses de blues formées au gospel, même si Elida chante en kriolu, le créole cap-verdien dérivé du portugais.

Parallèlement, elle perd son père très jeune et se rapproche de sa grand-mère qui participe à son éducation, et suit sa mère qui s’installe un temps sur l’île proche de Maio, dans des conditions précaires qui la conduisent à vendre des légumes dans la rue. Elle s’initie à la guitare et commence à écrire des chansons inspirées de son environnement. Mais l’adolescente ne néglige pas sa scolarité, elle apprend même le français vers l’âge de quatorze ou quinze ans, une langue dans laquelle elle s’exprime aujourd’hui très bien. Après son retour à Santiago, devenue mère d’un petit garçon à dix-sept ans, elle exerce comme animatrice radio, participe à des concours de chant, se produit dans les bars… En 2012, elle gagne un concours avec une chanson écrite deux ans plus tôt, Nta konsigui, obtenant un important succès populaire. Une activité qui lui vaut d’être remarquée par le producteur José da Silva, fondateur en 1988 du label Lusafrica dont la principale artiste fut la grande Cesaria Evora, figure centrale de la musique du Cap-Vert.

Fin 2014, elle réalise à vingt et un ans son premier album, « Ora Doci Ora Margos », d’abord sorti localement par Harmonia, puis à l’international par Lusafrica, sur lequel elle signe onze compositions originales sur un total de treize chansons. Outre les qualités évoquées plus haut, elle fait déjà montre d’une belle maturité vocale. Le succès est au rendez-vous, lui ouvre de nouvelles portes et lui permet de tourner aux États-Unis et en France. En 2015, RFI (Radio France Internationale) lui remet le Prix Découvertes pour son album. Grâce à cela, selon RFI, la chanteuse prend part à une tournée de seize dates en Afrique, suivie d’autres en Haïti, au Canada, aux États-Unis et en Europe ! À vingt-deux ans, quatre ans après le décès de Cesaria Evora, Elida Ameida a pris le relais et s’inscrit en chef de file de la musique cap-verdienne, et même en porte-parole de la communauté lusophone d’origine africaine. Elle va en devenir l’ambassadrice. En plus du fanana et du tabuque, elle étend son registre à la tabanka (ou tabanca), un style qui est, pour reprendre les termes d’un article du 23 juillet 2020 de Daniel Mousquet pour la Médiathèque Nouvelle, « le symbole de la lutte contre la colonisation et l’affirmation de l’identité africaine de l’archipel ». La musique d’Elida Almeida, toujours marquée par des textes évocateurs, va évoluer en intégrant des sonorités actuelles tout en restant ancrée dans la tradition rurale qui lui est chère, et ses quatre albums suivants, tous sortis chez Lusafrica, en témoignent : « Kebrada » (2017), « Djunta Kudjer » (2017, EP de sept titres), « Gerasonobu » (2020) et « Di Lonji » (2023). Pour conclure cet article, je vous propose d’ailleurs en écoute cinq chansons tirées de chacun de ces disques : Nhu Santiagu, Bersu d’oru, Discriminason, Di pundi nu bem et Donu di mundu.
