Abolition de l’esclavage en Guadeloupe : Terre de Blues, l’héritage

© : Guadeloupe La 1ère.

Une première fois aboli par décret le 4 février 1794, l’esclavage dans les colonies a été rétabli par Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, par un arrêté consulaire du 16 juillet 1802. En Guadeloupe, il faudra attendre le 27 mai 1848 pour que la seconde abolition de l’esclavage entre en vigueur. À cette occasion, comme chaque année, je publie un article en lien avec cette commémoration. À partir du premier tiers du XVIIe siècle, la systématisation de la traite transatlantique entraîne une accélération de la déportation d’Africains vers les Antilles et l’Amérique, où ils sont réduits en esclavage. Une fois sur place, les esclaves font l’objet des pires maltraitances et sont évidemment privés de tout. Les Blancs brident notamment toute forme de culture, en premier lieu la musique, dans laquelle ils voient un moyen de communication séditieux et dès lors dangereux pour leur autorité.

© : Frémeaux & Associés.

Mais au fil des siècles, malgré l’oppression et une répression effroyable, aux côtés d’autres traditions culturelles et artistiques, la musique originelle venue d’Afrique va se frayer un chemin. Mieux, elle ne va jamais cesser de grandir, de s’enrichir, de se renforcer, de s’affirmer et surtout de se transmettre. Les spirituals, le blues, le gospel aux États-Unis, la calinda, la biguine, la salsa, le gwo ka dans les Antilles, matrices des musiques populaires qui nous enchantent, ont toutes leurs racines en Afrique. Elles constituent un héritage inestimable qu’il nous appartient de préserver. Dix jours nous séparent aujourd’hui de l’ouverture de la prochaine édition du festival Terre de Blues à Marie-Galante, qui se tiendra du 6 au 9 juin 2025. Depuis sa création en 2000 (sous le nom de Créole Blues, l’appellation actuelle apparaîtra en 2005), cet événement incarne toute la diversité des musiques d’origine africaine, et joue donc un rôle primordial de passeur de cet héritage.

Pierre-Édouard Décimus. © : France-Antilles.

Les initiateurs du festival sont alors deux élus locaux, Harry Selbonne, président de la Communauté de communes de Marie-Galante, et Camille Pélage, directeur de l’office de tourisme, auxquels s’associent deux professionnels du monde musical, Pierre-Édouard Décimus, membre fondateur de Kassav’, et Eddy Compper, musicien et organisateur de concerts avant de prendre la direction du centre culturel de Sonis aux Abymes. L’objectif est de retracer une route de l’esclave entre les trois Saint-Louis : Saint-Louis sur l’île de Marie-Galante, Saint-Louis au Sénégal pour les origines africaines, enfin Saint-Louis aux États-Unis. Cette ville du Missouri n’a pas l’importance de la région du Delta dans le Mississippi et de Chicago dans l’Illinois dans l’histoire du blues. Mais sa situation sur l’axe qui relie La Nouvelle-Orléans au sud à Chicago au nord (en passant par Memphis, autre plaque tournante de la musique !) est essentielle.

Saint-Louis, Missouri, vers 1890. © : Kilburn Brothers / Library of Congress.

À la fin du XIXe siècle, Saint-Louis voit affluer des Afro-Américains qui « montent » au nord en vue de trouver de meilleures conditions de vie et de travail. La ville grandit très vite pour compter près de 600 000 habitants en 1900 (1), soit deux fois plus qu’aujourd’hui ! La migration s’accentue à partir des années 1910, avec de nombreux Noirs venus des États du Deep South comme le Mississippi et l’Arkansas. La scène musicale est très active et la ville déjà connue pour son école de pianistes de ragtime qui ont influencé le jazz. Le 11 septembre 1914, le trompettiste et chef d’orchestre W.C. Handy, autoproclamé « The Father of the Blues » (et venu à Saint-Louis dès 1892 !), crée sa plus célèbre composition, The Saint Louis blues, un grand classique de cette musique toujours abondamment repris. Le piano reste très représenté, mais de nouveaux artistes arrivent dans les années 1930 pour développer une scène plus orientée vers le blues urbain, toutefois un peu dans l’ombre de Chicago à la même époque. La scène de Saint-Louis demeure très vivace et accueille depuis 2016 le Musée national du Blues. Mais je prendrai le temps de m’arrêter plus longtemps sur le blues de Saint-Louis (Missouri) dans un article spécifique.

Groupe de gwo ka, Saint-Louis, Marie-Galante. © : Ville de Saint-Louis.

En ce 27 mai 2025, je vous propose une sélection de vingt-sept chansons qui répondent à des critères bien précis. On les doit toutes à des artistes et/ou groupes qui se sont produits lors de différentes éditions de Terre de Blues, tou(te)s les interprètes ont des origines africaines et incarnent la diversité des musiques représentées lors de cet événement qui doit continuer d’honorer ce précieux legs.
Le grand méchant zouk par Tanya St Val (présente lors de la 2e édition en 2001), chanteuse guadeloupéenne de zouk, biguine, musique du monde.
The surface par Keith B. Brown (3e édition en 2002), chanteur-guitariste américain de Country Blues.
I wanna love par Rhoda Scott (4e édition en 2003), organiste américaine de jazz et gospel.
Antiyèz la par Dédé Saint Prix (4e édition en 2003), chanteur-flûtiste guadeloupéen de chouwal bwa et zouk.
Malaika par Miriam Makeba (5e édition en 2004), chanteuse sud-africaine d’ethno-jazz et de musique du monde.
Soprann aux Antilles par Camille « Soprann » Hildevert (5e édition en 2004), chanteur-saxophoniste guadeloupéen de jazz de… Saint-Louis !

Saint-Louis, Sénégal. © : Sahel Découverte.

Sing a song of song par Kenny Garrett (6e édition en 2005), saxophoniste américain de jazz.
I’m a queen bee par Women of Chicago Blues (Deitra Farr, Grana Louise et Zora Young, 8e édition en 2007), chanteuses américaines de blues moderne.
Gilo par Akiyo (8e édition en 2007, mais aussi 2017 et 2019), collectif guadeloupéen.
Change your life par Malika Tirolien (9e édition en 2008, aussi en 2017 dans le cadre du parrainage posthume de Guy Tirolien, en 2019 avec Jacques Schwarz-Bart et marraine en 2025), chanteuse-pianiste guadeloupéenne de jazz.
Burn up the streets par Capleton (10e édition en 2009), chanteur jamaïcain de reggae et dancehall.
The son of a bluesman par Lucky Peterson (10e édition en 2009), chanteur, guitariste, pianiste et organiste américain de blues moderne.
Africa par Ismael Lô (11e édition en 2010), chanteur, guitariste et harmoniciste nigéro-sénégalais de musique traditionnelle africaine.
Mési lavi par Émeline Michel (12e édition en 2011), chanteuse haïtienne de compas, R&B, soul…
Get right church par l’Heritage Blues Orchestra (13e édition en 2012), groupe américain de blues et gospel.
Baimbridge cho par Admiral T (14e édition en 2013), chanteur guadeloupéen de hip-hop, zouk, dancehall…

Malika Tirolien. © : James / Le Monde.

Mwen diw awa par Kassav’ (14e édition en 2013), groupe guadeloupéen de zouk.
The things I used to do par Kenny Neal (15e édition en 2014), chanteur et multi-instrumentiste américain de blues moderne.
Pata pata par Angelique Kidjo (15e édition en 2014), chanteuse béninoise de jazz et de musique traditionnelle africaine.
Hoochie coochie man par Vasti Jackson (16e édition en 2015), chanteur-guitariste américain de blues moderne.
Rabbits in the pea patch par Maceo Parker (17e édition en 2016), chanteur-saxophoniste américain de funk, soul jazz, jazz…
I want to par Bobby Rush (18e édition en 2017), chanteur, harmoniciste et guitariste américain de blues, funk blues et soul blues.
Out of the wilderness par The Como Mamas (19e édition en 2018), chanteuses américaines de gospel.
Promesses bla bla par Tiken Jah Fakoly (20e édition en 2019), chanteur ivoirien de gospel.
Ain’t no slave par Big Daddy Wilson (20e édition en 2019), chanteur et percussionniste américain de blues et soul blues.
Serin Fallou par Youssou N’Dour (21e édition en 2023), chanteur sénégalais de mbalax et de musique traditionnelle africaine.
Isidô par Zouk All Stars avec Frédéric Caracas (22e édition en 2024), chanteur-bassiste guadeloupéen de zouk.

The Como Mamas. © : Soul Bag.

(1). Aujourd’hui, Saint-Louis (Missouri) compte effectivement environ 300 000 habitants intra-muros, mais la population de son agglomération atteint 2 800 000 habitants.